L'énoncé
« Crépuscule », Les Contemplations, Victor Hugo, 1856
L'étang mystérieux, suaire aux blanches moires,
Frissonne ; au fond du bois, la clairière apparaît ;
Les arbres sont profonds et les branches sont noires ;
Avez-vous vu Vénus à travers la forêt ?
Avez-vous vu Vénus au sommet des collines ?
Vous qui passez dans l'ombre, êtes-vous des amants ?
Les sentiers bruns sont pleins de blanches mousselines ;
L'herbe s'éveille et parle aux sépulcres dormants.
Que dit-il, le brin d'herbe ? et que répond la tombe ?
Aimez, vous qui vivez ! on a froid sous les ifs.
Lèvre, cherche la bouche ! aimez-vous ! la nuit tombe ;
Soyez heureux pendant que nous sommes pensifs.
Dieu veut qu'on ait aimé. Vivez ! faites envie,
Ô couples qui passez sous le vert coudrier.
Tout ce que dans la tombe, en sortant de la vie,
On emporta d'amour, on l'emploie à prier.
Les mortes d'aujourd'hui furent jadis les belles.
Le ver luisant dans l'ombre erre avec son flambeau.
Le vent fait tressaillir, au milieu des javelles,
Le brin d'herbe, et Dieu fait tressaillir le tombeau.
(…) Aimez-vous ! c'est le mois où les fraises sont mûres.
L'ange du soir rêveur, qui flotte dans les vents,
Mêle, en les emportant sur ses ailes obscures,
Les prières des morts aux baisers des vivants.
Chelles, 18... (Jersey 20 février 1854)
Question 1
Proposer une introduction pour le commentaire linéaire.
Accroche : Le XIXe siècle est le siècle du romantisme. Qu’il soit noir, révolutionnaire ou troubadour, le romantisme est un mouvement artistique et littéraire caractérisé par un désir de liberté et d’absolu et par une célébration de l’individu et de la conscience individuelle.
Présentation de l’auteur (siècle, mouvement littéraire) : Victor Hugo est un des chantres français du romantisme. Lorsqu’il perd sa fille Léopoldine en 1843, il est en pleine rédaction de son recueil de poème Les Contemplations. La mort hantera dès lors le volume, notamment dans la section « Pauca meae ».
Situation, thème et forme du passage : Le poème « Crépuscule », composé en quatrains d’alexandrins en rimes croisées, appartient à la section précédente, antérieure à la mort de Léopoldine. Il est pourtant lui aussi marqué par le motif de la mort mais à une autre fin. La nécessité de se souvenir que l’on va mourir (memento mori) est en effet articulée à une variation sur le carpe diem antique : puisqu’il faut mourir demain, vivons et aimons aujourd’hui.
Problématiques : En quoi ce poème est-il une variation du carpe diem antique ? Ou Dans quelle mesure Hugo nous livre-t-il une élégie romantique dans ce poème ?
Découpage du texte : 1. Du début à « tombe » : une évocation funèbre ; 2. De « Aimez » à la fin : l’exhortation à l’amour et à la vie
Les éléments à rappeler en introduction sont les suivants :
- Accroche (par exemple : contexte de rédaction)
- Présentation de l’auteur (siècle, mouvement littéraire)
- Situation, thème et forme du passage
- Problématique
- Découpage du texte
Avant d’en dégager les grandes parties, il faut s’interroger sur le mouvement du texte. Le mouvement du texte correspond à l’articulation des parties et à leurs cohérences internes. Afin de faciliter la découpe du texte, il est conseillé de trouver un titre pour chaque partie, au fur et à mesure.
Question 2
Proposer un développement pour le découpage du texte.
I. Exemple de titre (thématique) : Une évocation funèbre
A. Une description romantique
Citation : « L'étang mystérieux, suaire aux blanches moires, / Frissonne ».
Procédé littéraire : rejet de « frissonne ».
Interprétation : les premiers vers du poème sont placés sous le signe de l’enjambement, plus précisément du rejet : le verbe intransitif « frissonner » est rejeté en début de deuxième vers. Ce procédé crée un effet d’attente en fin de premier vers et suspend le temps au début du deuxième car on attend que la phrase continue. L’élan lyrique initial est comme arrêté, de même que la mort interrompt de manière abrupte et souvent imprévu le cours d’une existence.
B. Un univers magique et macabre
Citation : « Que dit-il, le brin d'herbe ? et que répond la tombe ? ».
Procédés littéraires : prosopopées sous forme de questions rhétoriques.
Interprétation : la voix lyrique s’adresse dans ce poème à des éléments naturels, comme l’herbe, ou à des objets, comme la tombe, comme s’ils étaient en mesure de répondre. Il s’agit donc d’une prosopopée, à ceci près que les « interlocuteurs » ne sont pas interpelés directement mais indirectement, à la troisième personne du singulier ; la prosopopée prend dans ce vers la forme de deux questions rhétoriques successives et coordonnées par la conjonction « et ».
II. Exemple de titre (thématique) : L’exhortation à l’amour et à la vie
A. Retour à la sagesse antique
Citation : « Aimez, vous qui vivez ! on a froid sous les ifs. / Lèvre, cherche la bouche ! aimez-vous ! la nuit tombe ».
Procédés littéraires : impératifs présent (aimez, cherche, aimez).
Interprétation : l’exhortation à vivre, qui est celle du carpe diem du poète antique Horace (« cueillez le jour »), se développe dans ce poème par une série d’impératifs adressés par le poète à ses lecteurs, désignés par la deuxième personne du pluriel. Plus qu’à des lecteurs, le poète s’adresse de manière large à « vous qui vivez », groupe qui l’inclut lui aussi. Il passe ensuite à un impératif à la deuxième personne du singulier, adressé à la « lèvre » comme désignant par métonymie l’ensemble de la personne qui aime.
B. Des motifs empruntés à la lyrique de la Renaissance
Citation : « Les mortes d'aujourd'hui furent jadis les belles. ».
Procédé littéraire : opposition mortes/belles, antithèse aujourd’hui/jadis.
Interprétation : ce vers peut évoquer les poèmes de Ronsard consacrés au Carpe diem, que ce soit « Mignonne, allons voir si la rose » ou « Quand vous serez bien vieille ». Dans ces poèmes en effet, la femme aimée est désignée par un adjectif substantivé comme « Mignonne ». Ici, les femmes aimées sont « les belles » ; mais elles sont avant tout « les mortes ». L’image de la femme aimée en futur cadavre est développée dans « Mignonne allons voir si la rose » : Hugo reprend ce motif de manière plus cruelle et met en opposition aujourd’hui et jadis, mortes et belle. Le temps présent est du côté de la mort : après tout, les femmes célébrées par Ronsard sont effectivement mortes au moment où Hugo compose son poème. Il ignore alors que sa propre fille mourra peu de temps après. L’accent se fait élégiaque par anticipation : Hugo chante les femmes qui ont été perdues.
Vous devez commenter chaque partie du texte, phrase par phrase. Attention, le but de ce travail n’est pas de citer les phrases telles qu’elles sont inscrites dans le texte mais de trouver des paraphrases permettant d’en expliquer le sens.
Ce travail permet également de relever le style du texte comme par exemple les figures de styles ou les temps des verbes (passé, présent, subjonctif, etc.).
L'analyse méthodique des phrases doit aussi être l’occasion de relever les références de l’auteur. Il peut s’agir de référence à l’histoire, à la littérature, etc. Ces références ne sont pas forcément explicites dans le texte, il faut donc faire appel à sa culture générale pour déceler les références dissimulées par l’auteur.
Question 3
Proposer une conclusion.
Pour la première problématique : Ce poème est une variation du carpe diem antique en ce qu’il reprend sa première étape, le memento mori, dans ses premières strophes où domine une atmosphère macabre et qu’il expose sa deuxième étape, l’exhortation à vivre, au moyen notamment d’impératifs aux lecteurs.
Pour la deuxième problématique : Hugo nous livre une élégie romantique dans ce poème en ce qu’il associe l’évocation de la mort des femmes aimées avec la nécessité de vivre tant qu’il est temps. La dimension romantique de cette élégie se lit à la convocation de motifs macabres et quasi fantastiques (prosopopées à des brins d’herbe, à une tombe), qui font penser au romantisme gothique, dit aussi romantisme noir.
Ouverture :
Après la mort de Léopoldine, Victor Hugo s’adonnera à des séances de spiritisme pour entrer en contact avec sa fille disparue. L’absolu de l’amour romantique, placé dans ce poème du côté sentimental et du côté de la vie, sera alors déplacé, dans l’existence du poète, du côté filial et tourné vers la mort.
Ne pas oublier de faire une ouverture !