Cours Commentaires linéaires corrigés

Commentaire linéaire - Les Fleurs du mal, « Spleen et idéal », Baudelaire

L'énoncé

Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, « Spleen et idéal », LXXVII « Spleen », 1857

Je suis comme le roi d'un pays pluvieux,
Riche, mais impuissant, jeune et pourtant très vieux,
Qui, de ses précepteurs méprisant les courbettes,
S'ennuie avec ses chiens comme avec d'autres bêtes.
Rien ne peut l'égayer, ni gibier, ni faucon,
Ni son peuple mourant en face du balcon.
Du bouffon favori la grotesque ballade
Ne distrait plus le front de ce cruel malade ;
Son lit fleurdelisé se transforme en tombeau,
Et les dames d'atour, pour qui tout prince est beau,
Ne savent plus trouver d'impudique toilette
Pour tirer un souris de ce jeune squelette.
Le savant qui lui fait de l'or n'a jamais pu
De son être extirper l'élément corrompu,
Et dans ces bains de sang qui des Romains nous viennent,
Et dont sur leurs vieux jours les puissants se souviennent,
II n'a su réchauffer ce cadavre hébété
Où coule au lieu de sang l'eau verte du Léthé.


Question 1

Proposer une introduction pour le commentaire linéaire.

Accroche : Le romantisme du XIXe siècle est un courant complexe qui associe des éléments révolutionnaires à des éléments passéistes, notamment tournés vers le Moyen Âge : on l’appelle le romantisme troubadour. Des poètes comme Aloysius Bertrand s’inspire ainsi de l’imaginaire médiéval pour en ré-inventer les motifs.

Présentation de l’auteur : Charles Baudelaire est l’héritier du romantisme et d’autres courants poétiques, comme celui du Parnasse et celui du symbolisme. A la croisée de ces mouvements artistiques, il s’empare lui aussi d’images anciennes pour en livrer une nouvelle interprétation dans son ouvrage le plus connu, Les Fleurs du mal.

Situation, thème et forme du passage : Ce poème, intitulé « Spleen » du mot anglais signifiant « mélancolie », est l’illustration de cette notion, essentielle pour Baudelaire. Le spleen est le sentiment de tristesse et de lassitude qui envahit celui qui aspire à l’idéal et qui constate qu’il ne peut pas l’atteindre. Baudelaire emprunte à l’imaginaire médiéval du roi et de l’alchimie pour illustrer, c’est-à-dire mettre en images (ici poétiques), ce thème. Il compose son poème en rimes suivies et en alexandrins.

Problématiques : En quoi ce poème est-il l’allégorie du spleen ? ou De quelle manière Baudelaire renouvelle-t-il le romantisme troubadour dans ce poème ?

Découpage du texte : 1. Une comparaison qui invite à un voyage hors du temps (v. 1-4) ; 2. L’inspiration médiévale du romantisme de Baudelaire (v. 5-12) ; 3. D’une vie antérieure à l’autre : l’Antiquité (v. 13-18)

Les éléments à rappeler en introduction sont les suivants :

- Accroche (par exemple : contexte de rédaction) 

- Présentation de l’auteur (siècle, mouvement littéraire)

- Situation, thème et forme du passage

- Problématique

- Découpage du texte

 

Avant d’en dégager les grandes parties, il faut s’interroger sur le mouvement du texte. Le mouvement du texte correspond à l’articulation des parties et à leurs cohérences internes. Afin de faciliter la découpe du texte, il est conseillé de trouver un titre pour chaque partie, au fur et à mesure. 

Question 2

Proposer un développement pour le découpage du texte.

I. Exemple de titre (thématique) : Une comparaison qui invite à un voyage hors du temps

 

A. L’entrée dans un monde imaginaire par la comparaison

Citation : « Je suis comme le roi d'un pays pluvieux »

Procédé littéraire : comparaison entre le poète et un personnage imaginaire.

Interprétation : par cette comparaison qui ouvre le poème, le poète fait entrer son lecteur dans un monde imaginaire. La transition s’opère par la personne du poète lui-même : c’est lui qui est comparé au personnage imaginaire du « roi » et c’est donc lui qui, en quelque sorte, se transforme sous les yeux du lecteur. La dimension fantasmagorique du monde présenté est donnée par la désignation floue du pays, « pays pluvieux » : ce groupe nominal évoque les contes de fées, comme le choix du « roi » comme personnage, et se place hors du temps.

 

B. Un monde imaginaire dominé par la monotonie

Citation : « pluvieux »/ « très vieux »

Procédés littéraires : rimes riches en v-i-eu ; jeu de sonorités entre « plus vieux », homophone de « pluvieux », et « très vieux ».

Interprétation : Baudelaire développe son poème en rimes suivies, ce qui instaure une mélodie quelque peu monotone : les attentes ne sont pas déçues. Par ailleurs, les sons entrant dans la rime en « vieu » sont eux aussi longs et doux, voire tristes. Enfin, le rapprochement entre « pluvieux » et « très vieux » fait relire le premier terme comme l’homophone de « plus vieux » : dans les deux cas, on a la présence, explicite ou sous-entendue, d’un adverbe intensif, plus ou très, qui accentue la vieillesse et, au sens métaphorique, la tristesse du poète et de son double, le roi.

 

II. Exemple de titre (thématique et rhématique) : L’inspiration médiévale du romantisme de Baudelaire

 

A. Un univers négatif

Citation : « Rien ne peut l'égayer, ni gibier, ni faucon,/ Ni son peuple mourant en face du balcon. »

Procédés littéraires : énumération de négations avec la conjonction de coordination « ni » et coordination de trois sujets au verbe « peut » ; coïncidence des deux premières propositions et du deuxième hémistiche ; coïncidence de la dernière proposition et du vers.

Interprétation : dans ce passage, la syntaxe coïncide avec la métrique puisqu’il y a coïncidence des deux premières propositions (ni gibier, ni faucon) avec le deuxième hémistiche et de la dernière proposition (ni son peuple (…) balcon) et du vers. Dans un rythme régulier et qui ne dérange pas l’oreille, le poète insiste sur la négativité de cet univers imaginaire. Il use d’une énumération de négations avec la coordination négative des sujets du verbe conjugué ; cette énumération produit un effet d’insistance.

 

B. Un imaginaire inspiré du Moyen Âge

Citation : gibier, faucon, ballade, bouffon, fleurdelisé, dame d’atour, prince.

Procédé littéraire : champ lexical des cours du Moyen Âge.

Interprétation : le lexique choisi par le poète renvoie aux cours des seigneurs et des rois du Moyen Âge dans l’imaginaire collectif. Le gibier et le faucon sont associés à la chasse, activité aristocratique par excellence ; la ballade est une forme poétique inventée au XIVe siècle et très empruntée par un grand poète médiéval qui était lui-même prince, Charles d’Orléans ; le bouffon, la fleur-de-lis (symbole héraldique de la royauté), les dames d’atour, le prince sont des références aux cours royales. Par ces mots, le poète reprend des motifs liés au Moyen Âge mais surtout à l’interprétation qu’en fait le romantisme troubadour de son temps. Par ailleurs, Baudelaire peut aussi s’inspirer ici de deux poètes du Moyen Âge qui étaient encore très lus à son époque, Charles d’Orléans et François Villon.

 

III. Exemple de titre (thématique) : D’une vie antérieure à l’autre : l’Antiquité

 

A. Un voyage dans le temps jusqu’à l’Antiquité : une évocation de vies antérieures

Citation : Romains, Léthé.

Procédé littéraire : références culturelles à l’Antiquité romaine et grecque.

Interprétation : le poète remonte encore plus loin dans le temps puisque la dernière partie de ce passage évoque l’Antiquité avec les termes de « Romains » et de « Léthé », fleuve des Enfers dans la mythologie grecque. Par ce voyage dans le temps, il nous donne l’impression d’évoquer ses vies antérieures, ce thème étant présent dans d’autres de ses poèmes.

 

B. Entre fantasme d’éternelle jeunesse et discours métapoétique

Citation : « Le savant qui lui fait de l'or » ; sang, cadavre, Léthé

Procédés littéraires : périphrase qui désigne l’alchimiste et champ lexical de la mort.

Interprétation : cette évocation de l’Antiquité reste pourtant associée à un Moyen Âge fantasmé puisqu’elle s’organise autour de la figure de l’alchimiste, désigné par la périphrase « le savant qui lui fait de l’or ». Cette périphrase rappelle le caractère imaginaire de ce monde puisque l’alchimie n’a jamais permis de transformer, comme ses adeptes l’espéraient, le métal en or. Il y a pourtant là une métaphore de l’activité poétique puisque l’écriture poétique est parfois comparée par Baudelaire à la tentative de transformer de la « boue » en or. C’est toutefois le champ lexical de la mort qui domine dans ce poème : l’alchimiste, engagé par le roi pour trouver le secret de l’éternelle jeunesse, a échoué. De la même manière, le poète a échoué à déjouer le spleen.

Vous devez commenter chaque partie du texte, phrase par phrase. Attention, le but de ce travail n’est pas de citer les phrases telles qu’elles sont inscrites dans le texte mais de trouver des paraphrases permettant d’en expliquer le sens.

 

Ce travail permet également de relever le style du texte comme par exemple les figures de styles ou les temps des verbes (passé, présent, subjonctif, etc.).

 

L'analyse méthodique des phrases doit aussi être l’occasion de relever les références de l’auteur. Il peut s’agir de référence à l’histoire, à la littérature, etc. Ces références ne sont pas forcément explicites dans le texte, il faut donc faire appel à sa culture générale pour déceler les références dissimulées par l’auteur.

Question 3

Proposer une conclusion.

Pour la première problématique : Ce poème est l’allégorie du spleen car il met en avant un imaginaire marqué par la monotonie, place à la fois hors du temps et dans le passé, ce qui évoque la volonté du poète d’échapper à la réalité, d’aller « n’importe où hors du monde » comme il l’écrit dans un de ses poèmes.

Pour la deuxième problématique : Baudelaire renouvelle le romantisme troubadour dans ce poème car il s’inspire d’images issues d’un Moyen Âge fantasmé pour l’associer à des évocations de l’Antiquité mais aussi à un discours métadiscursif sur l’échec de la poésie à guérir du spleen.

Ouverture : Charles d’Orléans est connu pour être un poète du « nonchaloir », c’est-à-dire de la mélancolie : l’association du « prince » et de la « ballade » dans ce poème renvoient à cette figure de poète de sang royal qui se fit le chantre du spleen avant l’heure.

Ne pas oublier de faire une ouverture !