L'énoncé
Jean Racine, extrait de Phèdre, I, 3, v. 269-290, 1677
Mon mal vient de plus loin. À peine au fils d’Égée
Sous les lois de l’hymen je m’étais engagée,
Mon repos, mon bonheur semblait être affermi ;
Athènes me montra mon superbe ennemi :
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps et transir et brûler :
Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,
D’un sang qu’elle poursuit tourments inévitables !
Par des vœux assidus je crus les détourner :
Je lui bâtis un temple, et pris soin de l’orner ;
De victimes moi-même à toute heure entourée,
Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée :
D’un incurable amour remèdes impuissants !
En vain sur les autels ma main brûlait l’encens !
Quand ma bouche implorait le nom de la déesse,
J’adorais Hippolyte ; et, le voyant sans cesse,
Même au pied des autels que je faisais fumer,
J’offrais tout à ce dieu que je n’osais nommer.
Je l’évitais partout. Ô comble de misère !
Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père.
Question 1
Proposer une introduction pour le commentaire linéaire.
Accroche : Au XVIIe siècle, la littérature est volontiers édifiante. Qu’il s’agisse de fables, de contes, de portraits ou de maximes, tout texte est l’occasion de tirer une leçon de morale ou de défendre une idée.
Présentation de l’auteur : Racine est un auteur dramatique du XVIIe siècle qui s’est particulièrement illustré dans le genre tragique. Racine adopte une visée édifiante dans la plupart de ses tragédies, en particulier dans Phèdre, pièce dont le personnage principal est une femme frappée d’une malédiction de Vénus à cause de la faute d’Hippolyte envers la déesse.
Situation, thème et forme du passage : Thésée, le père de Phèdre, est porté disparu et on le craint mort. Phèdre, de son côté, est atteinte d’un mal mystérieux. Interrogée par sa suivante, elle lui avoue l’amour monstrueux qu’elle porte à son beau-fils Hippolyte.
Problématiques : En quoi cet aveu évoque-t-il le récit d’un combat ? ou En quoi ce texte constitue-t-il le nœud de l’intrigue ?
Découpage du texte : 1. L’irruption d’une perturbation (v. 269-278) ; 2. Un combat contre les dieux et contre soi-même (v. 279-290)
Les éléments à rappeler en introduction sont les suivants :
- Accroche (par exemple : contexte de rédaction)
- Présentation de l’auteur (siècle, mouvement littéraire)
- Situation, thème et forme du passage
- Problématique
- Découpage du texte
Avant d’en dégager les grandes parties, il faut s’interroger sur le mouvement du texte. Le mouvement du texte correspond à l’articulation des parties et à leurs cohérences internes. Afin de faciliter la découpe du texte, il est conseillé de trouver un titre pour chaque partie, au fur et à mesure.
Question 2
Proposer un développement pour le découpage du texte.
I. Exemple de titre (thématique) : L’irruption d’une perturbation (v. 269-276)
A. Une scène de première vue
Citation : « je m’étais engagée », « semblait », « montra », « vis », « rougis, « pâlis ».
Procédé littéraire : aspect des verbes : aspect accompli du plus-que-parfait de l’indicatif, aspect sécant de l’imparfait de l’indicatif, aspect global du passé simple de l’indicatif.
Interprétation : le récit que fait Phèdre dans son discours à l’attention d’Oenone est marqué par une rupture temporelle. Cette rupture correspond à la rencontre avec Hippolyte. Phèdre vient d’épouser Thésée et a tout pour être heureuse mais il lui suffit de voir son beau-fils, Hippolyte, pour tomber amoureuse de lui et pour comprendre qu’elle a perdu toute chance de bonheur. Les verbes qui se rattachent au mariage et au temps d’avant la rencontre avec Hippolyte sont donc d’aspect accompli et sécant. Ils pointent une action achevée, que l’on considère dans son déroulement. A l’inverse, les verbes associés à la rencontre amoureuse sont employés avec un aspect global : le passé simple indique l’action subite, soudaine et imprévue, qui tranche brutalement entre l’avant et l’après de son occurrence.
B. Les symptômes de la maladie d’amour
Citation : « Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue »
Procédés littéraires : énumération, antithèse, distribution de deux verbes dans le premier hémistiche et du troisième dans le deuxième hémistiche + allitération en « v » et assonance en « i » qui rappelle la rime en « i » des vers précédents.
Interprétation : l’énumération des symptômes de la maladie d’amour dont est touchée Phèdre commence par cette première énumération de verbes au passé simple, admirablement tournée car associant énumération, antithèse (rougir vs pâlir), rythme régulier des syllabes dans un alexandrin pensé comme un quadrimètre (3 /3//3/3) et retour de sons consonnes (v) et voyelles (i), lequel fait lui-même écho à la rime précédente en « i » (affermi, ennemi). Les sensations contraires sont traditionnellement associées à l’innamoramento et parcourent le reste du passage.
II. Exemple de titre (thématique) : Un combat contre les dieux et contre soi-même (v. 277-290)
A. Phèdre, stratège de l’amour contre Vénus
Citation : « redoutables », « tourments », « détourner », « victimes », « dans leurs flancs ».
Procédés littéraires : champ lexical du combat.
Interprétation : la lutte de Phèdre contre l’amour prend des accents martiaux ; l’amour, entendue comme maladie, est aussi une guerre (le nom « ennemi » est déjà apparu v. 270). Aussi élabore-t-elle une stratégie : amadouer Vénus, non pas pour vivre un amour heureux avec Hippolyte, mais parce qu’elle sait que ce sentiment monstrueux lui est infligé à cause de cette déesse. C’est par le sacrifice de « victimes » qu’elle espère infléchir la volonté divine.
B. Phèdre en lutte contre elle-même
Citation : « incurable », « égarée », « impuissants », « en vain » ; « je l’évitais partout »/ « mes yeux le retrouvaient ».
Procédé littéraire : champ lexical de l’échec et de l’impuissance ; antithèse.
Interprétation : mais la contradiction qui traverse Phèdre n’est pas seulement celle de ses sensations. Elle est aussi celle d’une lutte qu’elle mène contre elle-même et qui n’a aucune chance d’aboutir. C’est d’elle-même que Phèdre se méfie ; lutte d’autant plus vaine que son salut, le bonheur conjugal avec Thésée, la ramène, par une ironie du sort, au souvenir d’Hippolyte. Il y a là le sceau d’une malédiction divine inéluctable, propre à la tragédie.
Vous devez commenter chaque partie du texte, phrase par phrase. Attention, le but de ce travail n’est pas de citer les phrases telles qu’elles sont inscrites dans le texte mais de trouver des paraphrases permettant d’en expliquer le sens.
Ce travail permet également de relever le style du texte comme par exemple les figures de styles ou les temps des verbes (passé, présent, subjonctif, etc.).
L'analyse méthodique des phrases doit aussi être l’occasion de relever les références de l’auteur. Il peut s’agir de référence à l’histoire, à la littérature, etc. Ces références ne sont pas forcément explicites dans le texte, il faut donc faire appel à sa culture générale pour déceler les références dissimulées par par l'auteur.
Question 3
Proposer une conclusion.
Pour la première problématique : Cet aveu évoque le récit d’un combat en ce que Phèdre identifie trois ennemis : Hippolyte, Vénus, et elle-même. Dans tous les cas, cette lutte est vaine car elle dépasse ses capacités de résistance et que sa stratégie est mise en échec.
Pour la deuxième problématique : Ce texte constitue le nœud de l’intrigue car il montre en quoi le personnage principal est animé de forces qui la dépasse : on peut parler de passion en l’espèce, mais aussi de fatalité puisque cette passion a été inspirée par une déesse, Vénus. A cette situation intenable et impossible doit répondre une issue nécessairement malheureuse : les jalons de la tragédie sont posés.
Ouverture : D’ennemi de Phèdre, Hippolyte deviendra sa victime telle qu’elle le raconte dans les vers suivants. Ce passage d’aveu est un morceau d’anthologie ; il détourne les scènes typiques de première vue pour condamner l’amour coupable. Mais il montre paradoxalement Phèdre en femme lucide et courageuse, victime autant que coupable : cette pièce rejoint en cela au traitement que pouvait avoir fait de ce même mythe Sénèque, qui avait lui aussi placé la scène de l’aveu au début de sa tragédie.
Ne pas oublier de faire une ouverture !