L'énoncé
Après une lecture expressive et juste de l’extrait choisi par l’examinateur, il s’agit d’expliquer le texte en le suivant phrase par phrase, ligne par ligne et paragraphe par paragraphe (linéairement).
Une gravure fantastique
Ce spectre singulier n’a pour toute toilette,
Grotesquement campé sur son front de squelette,
Qu’un diadème affreux sentant le carnaval.
Sans éperons, sans fouet, il essouffle un cheval,
Fantôme comme lui, rosse apocalyptique
Qui bave des naseaux comme un épileptique.
Au travers de l’espace ils s’enfoncent tous deux,
Et foulent l’infini d’un sabot hasardeux.
Le cavalier promène un sabre qui flamboie
Sur les foules sans nom que sa monture broie,
Et parcourt, comme un prince inspectant sa maison,
Le cimetière immense et froid, sans horizon,
Où gisent, aux lueurs d’un soleil blanc et terne,
Les peuples de l’histoire ancienne et moderne
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1857
Question 1
Proposer une introduction au commentaire linéaire.
Les Fleurs du mal, de Charles Baudelaire, est une œuvre poétique majeure dans l’histoire de la poésie française et mondiale. Publié en juin 1857, ce recueil est accusé d’immoralité et passe en procès. L’auteur et l’éditeur sont condamnés, malgré le soutien de plusieurs grands écrivains (dont Victor Hugo). Six poèmes doivent être supprimés. Ce recueil est traversé par l’influence du romantisme et du Parnasse, mais déploie surtout une grande originalité de thèmes et de motifs poétiques. Le rapport de Baudelaire au lyrisme, à la nature, à l’humanité et à la modernité est extrêmement novateur. En particulier, le poète transfigure la réalité par le poème, pour rendre l’immonde sublime.
L’édition de 1861 comporte six sections. « Une gravure fantastique » est le soixante-et-onzième de la première section « Spleen et Idéal », empreinte de la mélancolie caractéristique de Baudelaire (le spleen). Ce poème d’une seule strophe de quatorze vers – le même nombre qu’un sonnet – décrit une gravure de John Hamilton Mortimer que le poète observe, intitulée “Death on a pale horse” (1784). Le portrait que le poète propose du cavalier et de sa monture entremêle signes inquiétants et ridicules.
Problématique : En quoi cette transposition d’art renverse-t-elle le cliché du héros épique ?
Mouvements : 1) Les portraits ridicules du cavalier et de son cheval (v.1 à 6) ; 2) Une atmosphère lugubre et inquiétante (v.7 à 14)
L’introduction doit se dérouler de la manière suivante (moins de 2 min) :
- Présenter brièvement l’auteur et l’œuvre. (30 sec)
- Situer l’extrait à commenter dans l’œuvre. (30 sec)
- Énoncer une problématique, c’est-à-dire l’enjeu majeur du texte. Elle constitue le fil conducteur de l’explication, qu’il faut évoquer régulièrement. (moins de 30 sec)
- Annoncer 2 à 4 parties dans le texte, qui marquent sa progression. Ce plan structure l’explication du texte. (30 sec)
Question 2
Proposer un développement.
L’explication ci-dessous comporte beaucoup trop de remarques pour un oral de 8 minutes. Mais la variété des procédés et des analyses permet à chacun de trouver son compte. De plus, les éléments que le candidat n’a pas le temps d’évoquer peuvent être utiles pour les 2 minutes de grammaire, ainsi que pour l’entretien, si l’œuvre choisie est Les Fleurs du mal.
Les remarques apparaissent par tirets. Il s’agit ensuite de les articuler entre elles pendant l’explication, selon celles que l’on retient en particulier.
I. Les portraits ridicules du cavalier et son cheval (v.1 à 6)
Ce poème, inspiré d’une gravure, rappelle en lui-même l’art pictural. Or, le premier mouvement portraiture ridiculement le cavalier et son cheval. En cela, il renverse le cliché du héros épique à cheval.
- Les rimes plates de ces alexandrins, avec peu d’enjambements et rejets, créent une certaine monotonie, à l’opposé de ce que seraient des vers épiques.
- v.1 : « Ce spectre singulier » : premier groupe nominal (GN) du poème, en fixe le sujet central.
- Le substantif « spectre » ancre le poème dans un registre merveilleux, avec une atmosphère inquiétante.
- Le déterminant démonstratif « ce » impose la présence immédiate de la mort à l’imaginaire du lecteur. Sa valeur déictique le désigne directement.
- L’adjectif « singulier » souligne l’originalité de la vision, à la fois celle du tableau lui-même, mais aussi du poème. « Singulier » est aussi un synonyme d’« étrange », au cœur de l’esthétique de Baudelaire.
- Le substantif « toilette », mis en évidence par la rime, a une valeur sarcastique, et comique, par le contraste entre le spectre et le soin qu’a une personne pour elle-même.
- « n’a… pour toute » : négation exceptive, qui souligne la pauvreté des habits du cavalier.
- v.2 : Adverbe « grotesquement » : le registre grotesque désigne le goût du bouffon et du bizarre, suscitant souvent le rire. Son emploi fait certainement référence au poème « Les Grotesques » (1844) de Théophile Gautier, grand ami poète de Baudelaire, qui a connu des débuts romantiques, avant d’être un des membres les plus représentatifs du Parnasse. Il est le dédicataire des Fleurs du mal.
- Le substantif « squelette » comporte une rime riche avec « toilette » : l’association des deux termes entremêle le lugubre et le grotesque.
- v.3 : GN « diadème affreux » : oxymore entre le luxe que suggère un diadème et un tel adjectif associé à la laideur, encore typique de l’esthétique de Baudelaire.
- La diérèse exigée dans « diadème » met l’accent sur ce terme.
- Verbe « sentir » dans le participe présent « sentant » : mobilisation de l’odorat, mais aussi expression figurée de l’impression que véhicule un objet.
- Le substantif « carnaval », à la rime, nourrit encore le lexique du grotesque et du ridicule.
- v.4 : Parallélisme des prépositions privatives : « sans… sans ». Le spectre se définit par ce qu’il n’a pas, ce qui renverse encore le topos du chevalier héroïque.
- Apparition du « cheval », deuxième protagoniste du tableau, en rime riche avec « carnaval » : encore une fois l’association des termes accentue le ridicule inquiétant.
- v.5 : Deux appositions nominales décrivent le cheval :
- « Fantôme comme lui » : presque un synonyme du « spectre » initial, le cavalier auquel il est d’ailleurs comparé.
- GN « rosse apocalyptique » : le substantif, ridicule, dégrade encore toute dimension épique, et rappelle Rossinante, le destrier de Don Quichotte. L’adjectif crée un horizon morbide, qui contraste avec le ridicule, encore une fois en phase avec l’esthétique de Baudelaire.
- v.6 : Une subordonnée relative qualifie de nouveau le cheval : le portrait est hideux, et donc peu reluisant. La comparaison médicale crée encore une fois un contraste étonnant. La rime entre « apocalyptique » et « épileptique » est royale (quatre sons en commun) : l’effort sonore est particulièrement accentué dans ces deux termes rares.
II. Une atmosphère lugubre et inquiétante (v.7 à 14)
Dans le deuxième mouvement, le lecteur comprend qu’il s’agit d’une scène d’après-bataille. Après le portrait ridicule, l’atmosphère lugubre et inquiétante achève ce renversement du cliché du héros épique.
- v.7 : première action des deux personnages, avec le verbe « s’enfoncent » : après le portrait survient la narration.
- Complément circonstanciel de lieu (CCL) très vague : « au travers de l’espace ». Le poème se déroule dans un univers imaginaire mal défini. Peut-être un cauchemar, ou l’au-delà ?
- v.8 : l’indéfinition se poursuit avec le GN « l’infini », notion abstraite que l’on ne peut normalement « fouler ».
- Allitérations en [f] : enfoncent, foulent, infini signale peut-être leur mouvement.
- L’adjectif « hasardeux » comporte un double sens : aléatoire et imprévu ; mais aussi dangereux. Les deux sens se combinent ici.
- v.9 : début de la dernière longue phrase du poème, dont le sujet est le thème central du poème : « le cavalier ».
- Verbe d’action au présent de narration : « promène ». Il n’y en aura que deux dans toute la phrase. Or, ce verbe suggère la tranquillité et la lenteur, ce qui n’est pas le cas dans la gravure, où il semble empressé et conquérant.
- GN « un sabre qui flamboie » : motif épique, avec la métaphore lumineuse du feu, qui indique que l’épée a servi pour tuer. Sur la gravure, l’épée ne transmet pas une telle impression.
- Sorte d’hypallage : ce n’est pas le sabre que le cavalier promène : il se promène lui-même.
- v.10 : seul enjambement de tout le poème pour préciser l’action du cavalier.
- Groupe prépositionnel (GP) « sans nom » souligne l’anonymat de la foule.
- La foule au désespoir broyée par le cheval est bien visible sur la gravure.
- v.11 : deuxième verbe d’action de la phrase : « parcourt ».
- Comparaison avec un principe, qui inspecte : encore un contraste avec l’image. Le cavalier ne semble pas inspecter quoi que ce soit.
- v.12 : COD du verbe « parcourt » : « le cimetière… ». Ce substantif appartient encore au champ lexical de la mort.
- L’adjectif « immense » rappelle l’infini dont il est question au v.8 ; l’adjectif « froid » suggère encore la mort.
- Le GP « sans horizon » non seulement s’ajoute à cette immensité, mais constitue la quatrième occurrence de la préposition « sans » : ce poème est décidément négatif et sombre.
- v. 13 : « Où gisent… » jusqu’à la fin du poème : subordonnée circonstancielle, qui a valeur de CCT. Par ce dernier motif, le poème s’enfoncent dans le lugubre.
- Le verbe « gisent » est exclusivement utilisé pour désigner la mort.
- GN « soleil blanc et terne » rappelle les couleurs de l’apocalypse.
- v.14 : ce dernier vers comporte une dimension universelle qui, par un effet de chute (on peut parler de pointe, en poésie), s’étend bien au-delà du poème lui-même et de le gravure.
- Les articles définis « les » et « l’ » donnent une dimension absolue et conceptuelle aux « peuples » et à l’« histoire… » : cette image serait représentative de toute l’humanité.
- Les adjectifs « ancienne » et « moderne » signifient, en somme, qu’il s’agit de toute l’histoire.
- La gravure et le poème constitueraient donc une allégorie de l’oppression de l’humanité par des chefs grotesques et des guerres absurdes.
- Baudelaire propose donc une vision très pessimiste de l’histoire et de la vie humaine.
- La dernière position d’un poème est déterminante, il s’agit de la touche finale sur laquelle l’oreille se focalise. Or, elle est occupée par l’adjectif « moderne », incarnation par excellence de la poétique de Baudelaire.
Deux erreurs sont à éviter : la déconnexion des remarques les unes des autres et la paraphrase. Pour donner une cohérence aux remarques et analyses, il faut évoquer régulièrement la problématique et s’appuyer sur la progression du plan.
Le développement doit se dérouler de la manière suivante (6 min) :
Pour proposer une vraie analyse, trois catégories de remarques sont conseillées, entre lesquelles il convient d’alterner :
- Citer le texte et expliquer les citations. L’explication doit toujours prendre plus de temps que la citation elle-même. On peut expliquer les citations à l’aide des deux moyens suivants :
- Mobiliser des procédés littéraires
Question 3
Proposer une conclusion.
Cette transposition par Baudelaire d’une gravure n’est que moyennement fidèle à celle-ci. Bien que ses éléments principaux se retrouvent dans le poème, l’impression qu’elle dégage est toute autre. Elle semble être davantage un prétexte à renverser le topos du chevalier vaillant. Du ridicule au morbide, ce poème finit par proposer une vision cauchemardesque, miroir du rapport complexe de Baudelaire avec la mort, la vie et le Beau.
La conclusion doit se dérouler de la manière suivante (moins d’une min) :
- Elle reprend rapidement la problématique et les éléments majeurs de l’analyse.
- Ensuite elle propose un écho sur la suite de l’œuvre intégrale ou sur une autre œuvre du parcours de lecture (l’ouverture). Cette dernière étape doit montrer que le candidat connaît bien l’œuvre ou le parcours. Il a conscience que le texte qu’il a commenté n’est pas un simple texte isolé, mais qu’il s’inscrit dans une œuvre ou dans un thème littéraire majeur.