L'énoncé
Oh les beaux jours, acte II, Beckett, 1961
« Winnie. - Qu'est-ce que tu as, jamais vu une tête pareille ! (Un temps.) Couvre-toi, chéri, c'est le soleil, pas de chichis, je permets. (Il lâche chapeau et gants et commence à grimper vers elle. Joyeuse.) Oh mais dis donc, c'est fantastique ! (Il s'immobilise, une main s'agrippant au mamelon, l'autre jetée en avant.) Allons, mon coeur, du nerf, vas-y, je t'applaudirai. (Un temps.) C'est moi que tu vises, Willie, ou c'est autre chose ? (Un temps.) Tu voulais me toucher… le visage… encore une fois ? (Un temps.) C'est un baiser que tu vises, Willie, ou c'est autre chose ? (Un temps.) Il fut une époque où j'aurais pu te donner un coup de main. (Un temps.) Et une autre, avant, où je te donnais un coup de main. (Un temps.) Tu avais toujours bougrement besoin d'un coup de main. (Il lâche prise, dégringole en bas du mamelon). Brroum ! (Il se remet à quatre pattes, lève les yeux vers elle.) Essaie encore une fois, Willie, je t'acclamerai. (Un temps.) Ne me regarde pas comme ça. (Un temps. Véhémente.) Ne me regarde pas comme ça ! (Un temps. Bas.) As-tu perdu la raison, Willie ? (Un temps. De même.) Tes pauvres vieux restes de raison ?
Un temps.
Willie – (Bas.) Win.
Un temps. Les yeux de Winnie reviennent de face. Expression heureuse.
Winnie – Win ! (Un temps.) Oh le beau jour que ça aura été. (Un temps.) Encore un. (Un temps.) Après tout. (Fin de l'expression heureuse.) Jusqu'ici.
Un temps. Elle s'essaie à chantonner le début de l'air, celui de la boîte à musique, puis chante doucement.
Heure exquise / Qui nous grise / Lentement, / La caresse, / La promesse / Du moment, / L'ineffable étreinte / De nos désirs fous, / Tout dit, Gardez-moi / Puisque je suis à vous.
Un temps. Elle ferme les yeux. Sonnerie perçante. Elle ouvre les yeux aussitôt. Elle sourit, yeux de face. Yeux à droite sur Willie, toujours à quatre pattes, le visage levé vers elle. Fin du sourire. Ils se regardent. Temps long.
RIDEAU »
Question 1
Proposer une introduction pour le commentaire linéaire.
Accroche : Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la création artistique est redéfinie. Au théâtre, les codes dramatiques et scéniques se trouvent bousculés. L’une de ses tendances, le théâtre de l’absurde, médite sur la condition humaine en interrogeant notamment la difficulté de la communication entre les êtres.
Présentation de l’auteur (siècle, mouvement littéraire) : Samuel Beckett est un auteur irlandais ayant vécu en France et ayant écrit en français. Auteur de roman (Molloy) et participant au mouvement du Nouveau Roman, il s’adonne aussi au genre théâtral avec En attendant Godot, Fin de partie et Oh les beaux jours.
Situation, thème et forme du passage : Dans Oh les beaux jours, un homme et une femme d’un certain âge se trouvent dans un décor désertique. La femme est emprisonnée dans ce qui ressemble à une dune de sable et l’homme est couché à plat ventre à quelque distance d’elle. Elle est volubile, il est muet. La pièce est construite en deux actes ; à la fin du deuxième acte, l’homme, Willie, s’approche enfin de la femme, Winnie.
Problématiques : En quoi ce texte constitue-t-il le dénouement de la pièce ? Ou Que dit cette scène du théâtre de l’absurde sur la condition humaine ?
Découpage du texte : 1. Tirade de Winnie : la communication comme soliloque ; 2. De « Un temps » à la fin : tentative de retrouvailles et de dialogue
Les éléments à rappeler en introduction sont les suivants :
- Accroche (par exemple : contexte de rédaction)
- Présentation de l’auteur (siècle, mouvement littéraire)
- Situation, thème et forme du passage
- Problématique
- Découpage du texte
Avant d’en dégager les grandes parties, il faut s’interroger sur le mouvement du texte. Le mouvement du texte correspond à l’articulation des parties et à leurs cohérences internes. Afin de faciliter la découpe du texte, il est conseillé de trouver un titre pour chaque partie, au fur et à mesure.
Question 2
Proposer un développement pour le découpage du texte.
I. Exemple de titre (thématique) : la communication comme soliloque
A. Jusqu’à « un baiser, ou c’est autre chose ? » :
Citation : « couvre-toi », « dis donc », « vas-y ».
Procédé littéraire : emploi du présent de l’impératif par Winnie à destination de Willie.
Interprétation : cette partie de la tirade finale de Winnie ressemble beaucoup à ses autres tirades : Beckett utilise la répétition des mêmes scènes, des mêmes phrases et des mêmes situations pour marquer l’absurde d’une condition humaine dépourvue de sens. Dans ce passage, Winnie s’adresse à Willie par des impératifs présents à valeur jussive : elle communique avec lui en donnant des ordres. Sa communication est unilatérale puisque Willie n’a plus qu’à obéir sans avoir à répondre.
B. De « Il fut une époque » à « raison »
Citation : « Il fut une époque où ».
Procédé littéraire : formule au passé simple qui rappelle la formule d’entrée des contes de fée : « il était une fois ».
Interprétation : la fin de la tirade de Winnie est une réminiscence de jours heureux. Cette époque est révolue et Winnie s’en souvient avec nostalgie puisqu’elle emploie, pour ouvrir son récit, une formule porche de celle d’entrée des contes : « Il fut une époque où » fait penser à « Il était une fois ». Cette formule fait habituellement accepter de basculer dans un univers merveilleux ; ici, il semble que seule Winnie opère ce voyage, qui est un voyage intérieur. Sa communication est encore une fois unilatérale.
II. Exemple de titre (thématique) : Tentative de retrouvailles et de dialogue
A. De « Un temps » à « doucement »
Citation : « Win » dit par Willie et repris par Winnie ; « Oh le beau jour que ça aura été ».
Procédé littéraire : reprise lexicale ; allusion au titre Oh les beaux jours.
Interprétation : lorsque Willie dit « Win », c’est la première fois que l’on entend sa voix depuis le début de la pièce. Cette parole a donc une grande valeur ; elle coïncide avec le dénouement de la pièce dont le nœud est l’attente par Winnie d’une preuve d’amour de Willie. Le fait qu’il rampe jusqu’à elle constitue déjà une preuve de ce type ; mais c’est la profération de son prénom, malgré les obstacles rencontrés, qui en marque la certitude. Winnie répète le mot prononcé par Willie pour s’en émerveiller et en fait le commentaire dont le début donne son titre à la pièce : « Oh le beau jour que ça aura été ». L’emploi d’un temps composé, le futur antérieur, indique pourtant que ce « beau jour » est déjà achevé.
B. De « Heure exquise » à la fin
Citation : « Heure exquise / Qui nous grise / Lentement ».
Procédé littéraire : citation d’un air extrait de La Veuve Joyeuse, opérette de Franz Lehar.
Interprétation : la joie de Winnie culmine avec un passage chanté, qui correspond dans les opéras et les comédies musicales à une bascule dans le merveilleux. Par ironie, l’air chanté est extrait d’un opérette très connu à l’époque de la pièce qui s’intitule La Veuve Joyeuse : Willie et Winnie étant âgés, on peut supposer que Winnie sera veuve un jour. Les paroles de cet air soulignent la joie éprouvée par Winnie : « exquise » rime avec « grise » et évoque l’ivresse sentimentale. Or la réalité vécue par Winnie et Willie est loin des légèretés de la transe amoureuse.
Vous devez commenter chaque partie du texte, phrase par phrase. Attention, le but de ce travail n’est pas de citer les phrases telles qu’elles sont inscrites dans le texte mais de trouver des paraphrases permettant d’en expliquer le sens.
Ce travail permet également de relever le style du texte comme par exemple les figures de styles ou les temps des verbes (passé, présent, subjonctif, etc.).
L'analyse méthodique des phrases doit aussi être l’occasion de relever les références de l’auteur. Il peut s’agir de référence à l’histoire, à la littérature, etc. Ces références ne sont pas forcément explicites dans le texte, il faut donc faire appel à sa culture générale pour déceler les références dissimulées par l'auteur.
Question 3
Proposer une conclusion.
Pour la première problématique : Ce texte constitue le dénouement de la pièce car il oppose à l’impossible communication qui la parcourt la tentative réussie de Willie de s’adresser à Winnie. Son silence jusqu’ici n’était donc pas de l’indifférence mais le résultat d’obstacles rencontrés.
Pour la deuxième problématique : A propos de la condition humaine cette scène du théâtre de l’absurde dit que la communication entre les êtres humains, et particulièrement entre les membres d’un couple, est parfois difficile et peut sembler impossible mais que les efforts conjugués pour se rejoindre peuvent être payés de succès, même si celui-ci est éphémère.
Ouverture :
Cette fin, heureuse, prend sens au regard du titre de la pièce, Oh les beaux jours. Elle contraste avec le dénouement d’En attendant Godot, où les deux personnages principaux, Vladimir et Estragon, restent dans l’attente dudit Godot à la fin des deux actes et où cette venue est toujours repoussée au lendemain. Dans Oh les beaux jours, la rencontre se fait et a valeur d’épiphanie.
Ne pas oublier de faire une ouverture !