Cours Commentaires linéaires corrigés

Commentaire linéaire - Fables, La Fontaine

L'énoncé

La Fontaine, Fables, VIII, 4, « Le pouvoir des fables », 1678

« Dans Athène autrefois, peuple vain et léger,
Un orateur, voyant sa patrie en danger,
Courut à la tribune; et d'un art tyrannique,
Voulant forcer les coeurs dans une république,
Il parla fortement sur le commun salut.
On ne l'écoutait pas. L'orateur recourut
            A ces figures violentes
Qui savent exciter les âmes les plus lentes:
Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu'il put.
Le vent emporta tout, personne ne s'émut;
            L'animal aux têtes frivoles,
Etant fait à ces traits, ne daignait l'écouter;
Tous regardaient ailleurs; il en vit s'arrêter
A des combats d'enfants et point à ses paroles.
Que fit le harangueur? Il prit un autre tour.
« Céres, commença-t-il, faisait voyage un jour
            Avec l'anguille et l'hirondelle;
Un fleuve les arrête, et l'anguille en nageant,
            Comme l'hirondelle en volant,
Le traversa bientôt.» L'assemblée à l'instant
Cria tout d'une voix: « Et Céres, que fit-elle?
            - Ce qu'elle fit? Un prompt courroux
            L'anima d'abord contre vous.
Quoi? de contes d'enfants son peuple s'embarrasse!
            Et du péril qui la menace
Lui seul entre les Grecs il néglige l'effet!
Que ne demandez-vous ce que Philippe fait?»
            A ce reproche l'assemblée,
            Par l'apologue réveillée,
            Se donne entière à l'orateur:
            Un trait de fable en eut l'honneur.

Nous sommes tous d'Athènes en ce point, et moi-même,
Au moment que je fais cette moralité,
            Si Peau d'Ane m'était conté,
            J'y prendrais un plaisir extrême.
Le monde est vieux, dit-on: je le crois; cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant. »


Question 1

Proposer une introduction au commentaire linéaire.

Accroche : Au XVIIe siècle, l’Antiquité grecque et romaine exercent une fascination sur bon nombre d’écrivains et d’artistes. Beaucoup s’en inspirent dans leurs œuvres tout en actualisant les thèmes qui étaient traités par les Anciens.

Présentation de l’auteur : La Fontaine, en s’inspirant des fables de l’auteur antique Esope, se place ainsi du côté des Anciens dans la querelle des Anciens contre les Modernes.

Situation, thème et forme du passage : La fable « Le pouvoir des fables » est métadiscursive : elle traite de la meilleure manière d’argumenter et place son action dans la Grèce Antique. Il s’agit d’une fable en vers hétérométriques (octosyllabes et alexandrins) où l’on trouve des rimes suivies mais aussi des vers embrassés.

Problématiques : Comment La Fontaine montre-t-il le pouvoir des fables dans ce texte ? ou En quoi cette fable présente-t-elle la pensée de l’auteur sur son art ?

Découpage du texte : 1. La tentative de l’orateur de convaincre par la raison (« Dans Athène (…) paroles » ; 2. Le recours à la fable pour plaire et pour persuader (« Que fit (…) Que fit-elle ? ») ; 3. Le moment de la morale de l’orateur puis de l’auteur

Les éléments à rappeler en introduction sont les suivants :

- Accroche (par exemple : contexte de rédaction)

- Présentation de l’auteur (siècle, mouvement littéraire)

- Situation, thème et forme du passage

- Problématique

- Découpage du texte (plan)

Question 2

Commenter chaque partie du texte.

I. Exemple de titre (thématique) : La tentative de l’orateur de convaincre par la raison

 

A. Situation initiale : l’orateur face à son public

Citation : « peuple vain et léger ».

Procédé littéraire : groupe nominal apposé qui sert d’expansion au nom « Athènes ».

Interprétation : cette expansion programme l’échec de l’orateur : le peuple grec étant futile, il ne prêtera pas attention à des paroles sérieuses.

 

B. L’échec du discours et l’effort décuplé de l’orateur

Citation : « On ne l'écoutait pas. L'orateur recourut (…) ».

Procédé littéraire : passage de l’imparfait de l’indicatif (temps qui marque l’action longue et d’arrière-plan) au passé simple de l’indicatif (temps qui marque les actions brèves, de premier plan).

Interprétation : le passage d’un temps à un autre marque une rupture dans l’attitude de l’orateur, qui prend acte de l’absence d’écoute du public et qui change légèrement de stratégie : il continue à vouloir convaincre mais en forçant ses effets.

 

II. Exemple de titre (thématique) : Le recours à la fable pour plaire et pour persuader

 

A. La fable dans la fable : une mise en abyme

Citation : « Il prit un autre tour./« Céres, commença-t-il (…) ».

Procédé littéraire : passage du récit au discours direct.

Interprétation : le narrateur fait entendre la voix de son personnage pour mettre son lectorat à la place du public de l’orateur et accentue l’effet de réel du texte.

 

B. L’attention captée des auditoires

Citation : « L'assemblée à l'instant/Cria tout d'une voix (…) ».

Procédé littéraire : un groupe prépositionnel comme complément circonstanciel de temps.

Interprétation : ce complément circonstanciel de temps marque l’immédiateté de la réaction du public ; associé à l’usage du passé simple de l’indicatif, qui montre une action brève et insiste sur une rupture, ce CC de temps souligne le changement qui s’opère dans l’auditoire, devenu soudain attentif. Sans doute en va-t-il de même pour l’auditoire/le lectorat réel de la fable de La Fontaine.

 

III. Exemple de titre (thématique) : Le moment de la morale de l’orateur puis de l’auteur

 

A. La morale de l’apologue de l’orateur grec

Citation : « Quoi ? de contes d'enfants son peuple s'embarrasse ! ».

Procédé littéraire : question rhétorique à valeur d’interjection suivie d’une phrase exclamative dont l’ordre réel des mots est « Son peuple s’embarrasse de contes d’enfants ! ».

Interprétation : l’orateur est dominé par l’émotion : les modalités interrogatives et exclamative le manifestent. L’émotion qu’il voulait faire ressentir au public s’est donc changée en émotion qu’il ressent lui-même. Par ailleurs, son usage d’une question rhétorique montre qu’il n’attend pas de réponse du public mais qu’il cherche plutôt à le faire réagir et prendre conscience de sa futilité, voire de sa puérilité puisqu’il qualifie l’histoire qu’il commençait à leur raconter de « conte d’enfants ».

 

B. La morale de l’apologue de La Fontaine : une nouvelle mise en abyme

Citation : « Nous sommes tous d'Athènes en ce point, et moi-même (…) ».

Procédé littéraire : analogie entre les deux auditoires (et inclusion de l’auteur dans l’auditoire).

Interprétation : l’analogie dressée entre l’Athènes antique et la société du XVIIe siècle est explicitée par La Fontaine : l’auteur mène ainsi sa mise en abyme à son terme puisqu’il fait se confondre les deux auditoires et les deux histoires. Pourtant, il brise cet effet de vertige et d’identification en s’incluant dans le public alors qu’on s’attendait à le voir dans la position de l’orateur. Il critique donc ses contemporains mais n’est pas non plus complaisant envers lui-même.

Attention, le but de ce travail n’est pas de citer les phrases telles qu’elles sont inscrites dans le texte mais de trouver des paraphrases permettant d’en expliquer le sens. 


Ce travail permet également de relever le style du texte comme par exemple les figures de styles ou les temps des verbes.


L’analyse méthodique des phrases doit aussi être l’occasion de relever les références de l’auteur. Il peut s’agir de référence à l’histoire, à la littérature, etc. Ces références ne sont pas forcément explicites dans le texte, il faut donc faire appel à sa culture générale pour déceler les références dissimulées par l’auteur.

Question 3

Proposer une conclusion au commentaire linéaire.

- Pour la première problématique : La Fontaine montre le pouvoir des fables à la fois en théorie, en racontant l’histoire de l’orateur grec, et en acte, en montrant que c’est par cette histoire qu’il fait comprendre les avantages du recours à l’apologue pour convaincre et persuader.

- Pour la deuxième problématique : La Fontaine procède à une mise en abyme de son art qu’il présente comme recherchant un idéal noble de réveil des consciences par la raison et qu’il décrit également comme un artifice qui flatte en l’homme ce qu’il a de moins évolué, à savoir son goût pour le divertissement.

 

Ouverture :

En proposant une fable qui met en abyme son propre art, La Fontaine illustre le précepte de rhétorique qui fut énoncé par Cicéron dans la Rome antique : « placere et docere », « plaire et instruire ».

Ne pas oublier de faire une ouverture !