Cours Commentaires linéaires corrigés

Commentaire linéaire - Le Rouge et le Noir, Stendhal

L'énoncé

Stendhal, Le Rouge et le Noir, explicit, livre 2, chapitre 45, 1830

Jamais cette tête n'avait été aussi poétique qu'au moment où elle allait tomber. Les plus doux moments qu'il avait trouvés jadis dans les bois de Vergy se peignaient en foule à sa pensée et avec une extrême énergie.

Tout se passa simplement, convenablement, et de sa part sans aucune affectation.

L'avant-veille, il avait dit à Fouqué : – Pour de l'émotion, je ne puis en répondre ; ce cachot si laid, si humide, me donne des moments de fièvre où je ne me reconnais pas; mais de la peur, non on ne me verra point pâlir.

Il avait pris ses arrangements d'avance pour que, le matin du dernier jour, Fouqué enlevât Mathilde et Mme de Rênal.

– Emmène-les dans la même voiture, lui avait-il dit. Arrange-toi pour que les chevaux de poste ne quittent pas le galop. Elles tomberont dans les bras l'une de l'autre, ou se témoigneront une haine mortelle. Dans les deux cas, les pauvres femmes seront un peu distraites de leur affreuse douleur.

Julien avait exigé de Mme de Rênal le serment qu'elle vivrait pour donner des soins au fils de Mathilde.

– Qui sait ? peut-être avons-nous encore des sensations après notre mort, disait-il un jour à Fouqué. J'aimerais assez à reposer, puisque reposer est le mot, dans cette petite grotte de la grande montagne qui domine Verrières. Plusieurs fois, je te l'ai conté ; retiré la nuit dans cette grotte, et ma vue plongeant au loin sur les plus riches provinces de France, l'ambition a enflammé mon coeur : alors, c'était ma passion... Enfin, cette grotte m'est chère, et l'on ne peut disconvenir qu'elle ne soit située d'une façon à faire envie à l'âme d'un philosophe... eh bien ! ces bons congréganistes de Besançon font argent de tout ; si tu sais t'y prendre, ils te vendront ma dépouille mortelle... 


Question 1

Proposer une introduction pour le commentaire linéaire.

Présentation de l’auteur : Stendhal est un auteur du XIXe siècle ; de son vrai nom est Henri Beyle, il est diplomate et exerce notamment en Italie. Inspiré du romantisme, il en dénonce les illusions à travers des personnages comme ceux de Fabrice del Dongo ou de Julien Sorel.

Situation, thème et forme du passage : Nous sommes en présence de la fin du roman, qu’on appelle l’explicit. Julien Sorel a été condamnée pour la tentative de meurtre de Mme de Rênal, la femme mariée qu’il a aimée puis quittée avant d’avoir un enfant avec Mathilde de la Mole. Ces dernières pages racontent son exécution.

Problématiques : En quoi cette mort du héros met-elle fin à l’intrigue romanesque ? ou En quoi le moment de la mort du héros est-il marqué par une confusion des temps ?

Découpage du texte : 1. Du début jusqu’à « aucune affectation » : le récit dépassionné d’une exécution ; 2. De « L'avant-veille » jusqu’à « fils de Mathilde » : les dernières dispositions de Julien avant sa mort ; 3. Dernier paragraphe : Dernières volontés de Julien concernant ce qui suivra sa disparition

Les éléments à rappeler en introduction sont les suivants :

- Accroche (par exemple : contexte de rédaction) 

- Présentation de l’auteur (siècle, mouvement littéraire)

- Situation, thème et forme du passage

- Problématique

- Découpage du texte


Avant d’en dégager les grandes parties, il faut s’interroger sur le mouvement du texte. Le mouvement du texte correspond à l’articulation des parties et à leurs cohérences internes. Afin de faciliter la découpe du texte, il est conseillé de trouver un titre pour chaque partie, au fur et à mesure. 

Question 2

Proposer un développement pour le découpage du texte.

I. Exemple de titre (thématique) : le récit dépassionné d’une exécution

 

A. Une exécution elliptique

Citation : « Jamais cette tête n'avait été aussi poétique qu'au moment où elle allait tomber. »

Procédés littéraires : plus-que-parfait de l’indicatif (« avait été »), forme composée à l’aspect accompli ; tournure de futur proche (« allait tomber ») avec le verbe « aller » à l’imparfait de l’indicatif, forme simple à l’aspect inaccompli ; syllepse de sens sur « tête ».

Interprétation : dès le début de ce passage s’opère un brouillage du temps : le premier verbe conjugué se place du côté d’une action révolue, puisqu’il s’agit de l’état de l’esprit de Julien Sorel avant son exécution. On lit une syllepse de sens sur le mot « tête » qui désigne à la fois la tête physique, qui va être coupée, et l’esprit de Julien. Passant de l’un à l’autre, on comprend que l’exécution a eu lieu, et cela sans même que l’on s’en soit rendu compte. L’utilisation de la tournure de futur proche à l’imparfait de l’indicatif marque ce brouillage temporel puisque nous passons d’un moment où l’exécution a eu lieu à un moment où elle n’a pas encore eu lieu. En ressort l’impression que le narrateur veut conjurer la mort de son héros en racontant ce qui s’est passé avant elle.

 

B. Un événement et un récit dépassionnés

Citation : « Tout se passa simplement, convenablement, et de sa part sans aucune affectation. »

Procédé littéraire : énumération (voir gradation) de compléments circonstanciels de manière.

Interprétation : le calme et la sagesse de Julien face à la mort sont indiqués par l’énumération de compléments circonstanciels de manière, dont deux sont des adverbes (simplement, convenablement) et dont le dernier est un groupe prépositionnel nominal (sans aucune affectation). Ces termes entre dans le champ lexical de la bienséance voire de l’indifférence. C’est en réalité la résignation stoïcienne du héros face à sa mort qui est soulignée : il se distingue par son absence d’expression de sentiment.

 

II. Exemple de titre (thématique) : les dernières dispositions de Julien avant sa mort

 

A. Un moment d’analepse

Citation : « L’avant-veille », « il avait dit », « il avait pris »

Procédé littéraire : complément circonstanciel de temps qui introduit l’analepse ; plus-que-parfait de l’indicatif

Interprétation : après le récit elliptique de l’exécution, le narrateur nous ramène en arrière par une analepse et nous livre le récit des derniers jours du condamné. Le temps employé est alors logiquement le plus-que-parfait, qui marque une antériorité par rapport au récit au passé de l’exécution.

 

B. La transition vers une prolepse

Citation : « le serment qu'elle vivrait pour donner des soins au fils de Mathilde. »

Procédé littéraire : conditionnel présent qui indique le futur dans le passé ; « serment », terme qui engage l’avenir ; discours indirect.

Interprétation : mais le narrateur brouille de nouveau les temps en rapportant les paroles que Julien fait dire à Mme de Rênal au sujet du fils qu’il a eu avec Mathilde : il introduit une prolepse dans l’analepse, c’est-à-dire qu’il fait parler du futur dans un moment antérieur à celui de l’action. Tous les temps se confondent et l’événement qui constitue leur repère, l’exécution de Julien, est à la fois plus présente, car évoquée partout, et plus absente, car passée sous silence, de cette narration.

 

III. Exemple de titre (thématique) : dernières volontés de Julien concernant ce qui suivra sa disparition

 

A. Les interrogations philosophiques du héros

Citation : « peut-être avons-nous encore des sensations après notre mort »

Procédés littéraires : compléments circonstanciels de temps « après notre mort », « encore » ; hypothèse exprimée par l’adverbe de modalité « peut-être » ; première personne du pluriel « nous ».

Interprétation : le héros continue à se projeter dans l’avenir en envisageant rationnellement ce qui suit sa mort ; cela est indiqué par l’emploi de CC de temps comme « après notre mort » et « encore ». L’usage du pronom personnel de la première personne du pluriel fait aussi entrer dans un discours plus impersonnel voir plus savant : Julien se détache de son cas personnel pour examiner la vieille question philosophique du matérialisme et de la persistance des sensations après la séparation des parties du corps, question qui concerne tous les hommes. Il envisage donc à la fois l’avenir et l’ensemble du genre humain, ce qui atténue encore le pathétique de cette scène.

 

B. Un effet de boucle

Citation : « cette petite grotte de la grande montagne qui domine Verrières ».

Procédé littéraire : renvoi intratextuel à la grotte où Julien se réfugiait pour envisager son avenir au moment de quitter Mme de Rênal.

Interprétation : le narrateur opère un effet de boucle en projetant la suite de l’action, à savoir l’enterrement de Julien, dans l’endroit qui fut si important pour lui au moment de décider de son avenir. De nouveau, les temps sont brouillés : le futur rejoint le passé.

Vous devez commenter chaque partie du texte, phrase par phrase. Attention, le but de ce travail n’est pas de citer les phrases telles qu’elles sont inscrites dans le texte mais de trouver des paraphrases permettant d’en expliquer le sens.


Ce travail permet également de relever le style du texte comme par exemple les figures de styles ou les temps des verbes (passé, présent, subjonctif, etc.).


L'analyse méthodique des phrases doit aussi être l’occasion de relever les références de l’auteur. Il peut s’agir de référence à l’histoire, à la littérature, etc. Ces références ne sont pas forcément explicites dans le texte, il faut donc faire appel à sa culture générale pour déceler les références dissimulées par l'auteur.

Question 3

Proposer une conclusion.

- Pour la première problématique : Cette mort du héros met fin à l’intrigue romanesque car elle présente Julien comme guéri de son obsession de paraître. Le héros se concentre désormais sur ce qui est essentiel, à savoir l’avenir de son fils et des femmes qu’il a aimées, et sur le lieu où il va reposer. Il a des considérations philosophiques et ne pense plus seulement à lui-même. Cette évolution du personnage à l’heure de mourir est bien conclusive.

- Pour la deuxième problématique : Le moment de la mort du héros est marqué par une confusion des temps puisque le moment de l’exécution est mis en ellipse et est immédiatement suivi d’une analepse, à l’intérieur de laquelle se cache une prolepse, laquelle est également suivie par une autre prolepse. C’est peut-être là la temporalité particulière de la mort, qui annihile l’avenir et met sur le même plan tous les événements passés, échappant en cela à la chronologie linéaire du temps des vivants.

Ouverture : L’autre grand roman de Stendhal, La Chartreuse de Parme, présente un explicit que l’on peut rapprocher de celui-ci : son héros rejoint en effet une chartreuse, c’est-à-dire un monastère où vivent des moines Chartreux, qui ont fait vœu de solitude et de silence. L’endroit de la grotte est en ce sens symbolique dans Le Rouge et le Noir : les héros de Stendhal parviennent chacun à une élévation de l’âme, qu’elle soit philosophique ou spirituelle, et se retirent du monde.