L'énoncé
Essaye ici de répondre aux questions qui te sont posées afin de t’habituer à interroger le texte par toi-même.
« Il reste à dire en quoi l'artiste diffère de l'artisan. Toutes les fois que l'idée précède et règle l'exécution, c'est industrie. Et encore est-il vrai que l’œuvre souvent, même dans l'industrie, redresse l'idée en ce sens que l'artisan trouve mieux qu'il n'avait pensé dès qu'il essaie ; en cela il est artiste, mais par éclairs. Toujours est-il que la représentation d'une idée dans une chose, je dis même d'une idée bien définie comme le dessin d'une maison, est une œuvre mécanique seulement, en ce sens qu'une machine bien réglée d'abord ferait l’œuvre à mille exemplaires. Pensons maintenant au travail du peintre de portrait ; il est clair qu'il ne peut avoir le projet de toutes les couleurs qu'il emploiera à l’œuvre qu'il commence ; l'idée lui vient à mesure qu'il fait ; il serait même rigoureux de dire que l'idée lui vient ensuite, comme au spectateur, et qu'il est spectateur aussi de son œuvre en train de naître. Et c'est là le propre de l'artiste. Il faut que le génie ait la grâce de la nature et s'étonne lui-même. Un beau vers n'est pas d'abord en projet, et ensuite fait ; mais il se montre beau au poète ; et la belle statue se montre belle au sculpteur à mesure qu'il la fait ; et le portrait naît sous le pinceau. […] Ainsi la règle du Beau n'apparaît que dans l’œuvre et y reste prise, en sorte qu'elle ne peut servir jamais, d'aucune manière, à faire une autre œuvre. »
ALAIN, Système des Beaux-Arts, Livre I, Chap. VII, coll. La Pléiade, pp. 239-240
Question 1
Après avoir lu et compris le texte, essaye d'abord de dire quelle est la thèse du texte.
Dans ce texte, Alain tente d'établir une distinction entre l'œuvre de l'artisan et l'œuvre de l'artiste.
Par « geste philosophique », il faut comprendre ici ce que l’auteur établit dans ce texte. Cette question est formelle, et ne suppose pas encore une maîtrise du contenu.
Tout est annoncé dans la première phrase du texte.
Question 2
Explique la phrase suivante au début du texte : « toutes les fois que l'idée précède et règle l'exécution, c'est industrie » ; quel sens donner ici au terme « industrie » ?
L'industrie, telle qu'on l'entend couramment, renvoie à une production de masse d'objets utiles à la vie. L'industrie peut prendre aussi le sens du savoir-faire : agir avec beaucoup d'industrie, c'est agir habilement, maîtriser une certaine technique dans une production donnée.
Autrement dit, dans son activité, l'artisan possède déjà dans son esprit une idée de l'objet qu'il va créer, il en construit en quelque sorte le modèle, qu'il va ensuite faire coïncider avec la matière première qu'il a coutume d'utiliser.
Pose-toi la question suivante : que signifie « industrie » dans le langage courant ?
Demande-toi maintenant en quoi ce concept courant d’industrie est à rapporter à l’œuvre de l’artisan.
Question 3
Au milieu du texte, Alain aborde cette fois la description de l'œuvre de l'artiste peintre. Essaye de bien comprendre et d'expliquer ce que fait l'artiste ici, et en quoi son activité diffère de celle de l'artisan.
L'artiste n'a peut-être qu'une vague idée de ce qu'il fait, mais sa peinture ne prend forme qu'à mesure que son dessin se précise. Ici l'artiste est même décrit un peu plus bas comme spectateur de son œuvre. En ce sens, il ne se laisse pas enfermer dans un modèle contraignant, mais laisse libre cours à son pinceau et à son imagination jusqu'à ce qu'il découvre dans son œuvre une forme qu'il va préciser.
Tu sais désormais que l’artisan possède dans son esprit une idée de ce qu’il va faire. Alain semble dire que l’artiste, pour sa part, n’est pas dans ce type de rapport à son œuvre.
En gras dans le texte : « l’idée lui vient à mesure qu’il fait ». Comment expliquer cette activité ?
Question 4
Revenons maintenant un peu en arrière : Alain parle de l'artisan qui serait parfois artiste « par éclairs ». Comment expliquer cette expression ?
Tout est dans l'expression suivante : « Et encore est-il vrai que l'œuvre souvent, même dans l'industrie, redresse l'idée en ce sens que l'artisan trouve mieux qu'il n'avait pensé dès qu'il essaie ». L'artisan est parfois en mesure d'apporter des améliorations à sa production qu'il n'avait pas forcément anticipé dans l'élaboration de son modèle. Mais cette capacité à se détacher du modèle reste exceptionnelle. D'où l'expression « par éclairs » : l'artisan n'apporte que rarement ces modifications qui font d'une certaine manière de son œuvre une œuvre d'art.
Conclusion : Dans cette première approche du texte, nous avons vu qu'Alain ne distingue pas radicalement l'artisan de l'artiste. Certes, leur activité ordinaire est différente : l'artisan a un modèle, l'artiste peintre est en mesure de créer sans modèle, de reconnaître dans sa toile une forme qu'il n'avait pas anticipée. Mais l'artisan est aussi artiste à sa manière lorsqu'il parvient à se défaire du modèle.
Il faut bien sûr se rappeler la distinction opérée entre l’artisan et l’artiste ; ce dernier, affirme Alain, est parfois aussi artiste.
Si l’artisan est artiste « par éclairs », c’est qu’il ne l’est pas tout le temps. Demande-toi comment l’artisan peut parfois se détacher de son modèle et laisser libre cours à son imagination.
Question 5
Quelle conception du Beau émerge-t-elle du texte ?
Ce qui surprend l'artiste dans sa création n'est pas tant la forme représentée sur le tableau ou ses couleurs, que l'harmonie et la beauté qui en émanent. Cette surprise constitutive de l'œuvre d'art, qui fait jaillir l'émotion et l'émerveillement du spectateur (et de l'artiste), n'est pas assignable à une technique précise. En cela, il n'est pas de "règle" possible du beau. En creux se dessine alors une conception de la beauté : selon Alain, celle-ci tient aux failles de l'artiste en ce sens qu'elle ne réside pas uniquement dans son intention. Elle émerge en aval de la création, dans l'œuvre elle-même plus que dans le savoir-faire et le projet de l'artiste.