Cours L'argumentation au XVIIe siècle
Exercice d'application

Lire attentivement les trois textes suivants et répondre aux questions.

 
1) Présenter chacun des trois textes et rappeler les caractéristiques de la fable.
 
2) Étudier le premier texte :
 
A) Identifier deux parties dans la fable : comparer les procédés argumentatifs utilisés par l’orateur dans la première partie à ceux qu’il utilise dans la deuxième partie. Quels procédés fonctionnent le mieux sur les habitants d’Athènes ?
 
B) Quelle semble être la thèse développée par La Fontaine dans cette fable ?
 
3) Comparer les deux textes suivants : ont-ils la même morale ?
 
4) Nuancer alors la thèse du « Pouvoir des fables ».

 

 

Texte 1 : Jean de la Fontaine, « Le Pouvoir des fables », Livre VIII, 4

(…)

Dans Athène autrefois peuple vain et léger,

Un Orateur voyant sa patrie en danger,

Courut à la Tribune ; et d'un art tyrannique,

Voulant forcer les cœurs dans une république,

Il parla fortement sur le commun salut.

On ne l'écoutait pas : l'Orateur recourut

À ces figures violentes

Qui savent exciter les âmes les plus lentes.

Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu'il put.

Le vent emporta tout ; personne ne s'émut.

L'animal aux têtes frivoles

Etant fait à ces traits, ne daignait l'écouter.

Tous regardaient ailleurs : il en vit s'arrêter

À des combats d'enfants, et point à ses paroles.

Que fit le harangueur ? Il prit un autre tour.

Cérès , commença-t-il, faisait voyage un jour

Avec l'Anguille et l'Hirondelle :

Un fleuve les arrête ; et l'Anguille en nageant,

Comme l'Hirondelle en volant,

Le traversa bientôt. L'assemblée à l'instant

Cria tout d'une voix : Et Cérès, que fit-elle ?

Ce qu'elle fit ? un prompt courroux

L'anima d'abord contre vous.

Quoi, de contes d'enfants son peuple s'embarrasse !

Et du péril qui le menace

Lui seul entre les Grecs il néglige l'effet !

Que ne demandez-vous ce que Philippe fait ?

À ce reproche l'assemblée,

Par l'apologue réveillée,

Se donne entière à l'Orateur :

Un trait de fable en eut l'honneur.

Nous sommes tous d'Athène en ce point ; et moi-même,

Au moment que je fais cette moralité,

Si Peau d'âne m'était conté,

J'y prendrais un plaisir extrême,

Le monde est vieux, dit-on : je le crois, cependant

Il le faut amuser encor comme un enfant.

 

Texte 2 : Esope, « Le renard et les raisins »

Un renard affamé, voyant des grappes de raisin pendre à une treille, voulut les attraper ;

mais ne pouvant y parvenir, il s’éloigna en se disant à lui-même : « C’est du verjus. »

Pareillement certains hommes, ne pouvant mener à bien leurs affaires, à cause de leur incapacité, en accusent les circonstances.

 

Texte 3 : Jean de la Fontaine, « Le renard et les raisins », Livre III, 11

Certain Renard gascon, d'autres disent normand,

Mourant presque de faim, vit au haut d'une treille

Des raisins mûrs apparemment1,

Et couverts d'une peau vermeille.

Le Galand2 en eut fait volontiers un repas ;

Mais comme il n'y pouvait point atteindre :

Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats3.

Fit-il pas mieux que de se plaindre?

 

1. manifestement, de façon apparente et conforme à la réalité.
2. coquin, rusé.
3. stupides, grossiers

 

1) Le premier texte est une fable de La Fontaine, « Le Pouvoir des fables », dans laquelle un orateur tente vainement d’intéresser le peuple d’Athènes par les figures classiques de l’argumentation, avant d’y parvenir en leur racontant une fable.
Les deuxième et troisième textes sont deux fables, l’une d’Esope et l’autre de La Fontaine, qui ont pour titre « Le renard et les raisins » : un renard essaie d’attraper des raisins et n’y arrivant, il finit par s’en détourner.

Une fable est un apologue, c’est-à-dire un court récit plaisant, par lequel on diffuse une morale. Généralement, la morale et le récit sont clairement séparés et la morale est explicite ; elle est illustrée par le récit.

 

2) A) Dans une première partie (jusqu’à « et point à ses paroles »), l’orateur utilise des figures classiques de l’argumentation directe : il utilise un « art tyrannique », des
« figures violentes », il tente d’intéresser le peuple d’Athènes par un discours conventionnel qui veut persuader par la force, comme en témoigne le champ lexical de la violence (« forcer les cœurs », « fortement », « exciter les âmes », « tonna »…) Les vers sont plus longs (alexandrins) pour montrer l’ampleur et l’emphase du discours.

Dans une deuxième partie (depuis « que fit le harangueur ? »), l’orateur utilise une fable pour intéresser le peuple : aussitôt, tout Athènes l’écoute. Les vers sont plus courts (octosyllabes), ce qui peut se rapporter au dynamisme de ce nouveau discours.

B) La Fontaine pense que la fable est un moyen plus efficace que les long discours pour faire passer une idée, car le récit, s’il est bien écrit, est plus susceptible d’intéresser et de retenir l’attention, quels que soient les arguments développés. La fable semble avoir le pouvoir de fixer l’intérêt du lecteur ou de l’auditeur sur le thème qu’elle développe, comme le montre La Fontaine dans « Le Pouvoir des fables ». Elle plaît et fait réfléchir en même temps ; elle a donc le pouvoir de diffuser et transmettre des idées.

 

3) Les deux textes suivants sont tous deux des fables portant sur la réaction d’un renard face à des raisins qu’il ne peut attraper. L’histoire est la même : le renard tente d’attraper des raisins, il n’y parvient pas et se convainc alors que les raisins n’étaient pas bons. Cependant, la forme est légèrement différente : la fable de La Fontaine est en vers, contrairement à la fable d’Esope. La fable d’Esope met en avant la morale dans un paragraphe à part ; cette morale est explicite (« Pareillement certains hommes… »),tandis qu’elle est plus subtile chez La Fontaine qui fait seulement un commentaire sur le comportement du Renard sans le comparer aux hommes.
Cependant, la morale est légèrement différente dans les deux apologues. Esope dénonce explicitement ce comportement en montrant que les hommes s’illusionnent en niant leurs défauts et en les imputant aux circonstances. Son commentaire est négatif. La Fontaine au contraire montre plus malicieusement que le comportement du renard est positif puisqu’en ajustant ses envies à ses capacités, il ne devient pas aigri (« Fit-il pas mieux que de se plaindre ? »).

 

4) À partir d’une même histoire, les deux auteurs tirent deux morales opposées. Pourtant, le récit initial de l’apologue est le même. Ainsi, même si les fables permettent de transmettre des idées plus facilement qu’un discours argumentatif complexe et direct, il y a toujours le risque que l’on puisse interpréter le récit de l’apologue de différentes manières : la fable peut être à double sens, caractéristique qu’on retrouve ici dans la comparaison entre ces deux fables, mais aussi au sein d’une même fable de La Fontaine qui bien souvent peut contenir deux morales contraires. Les fables, en ne permettant pas d’approfondir le sujet traité, peuvent être détournées pour illustrer deux morales différentes.