Cours Qui parle à qui ?

Exercice - Deux incipits et trois postures

L'énoncé

Incipit n°1 : La Condition humaine, André Malraux, 1933

"Tchen tenterait-il de lever la moustiquaire ? Frapperait-il au travers ? L'angoisse lui tordait l'estomac ; il connaissait sa propre fermeté, mais n'était capable en cet instant que d'y songer avec hébétude, fasciné par ce tas de mousseline blanche qui tombait du plafond sur un corps moins visible qu'une ombre, et d'où sortait seulement ce pied à demi incliné par le sommeil, vivant quand même - de la chair d'homme. La seule lumière venait du building voisin : un grand rectangle d'électricité pâle, coupé par les barreaux de la fenêtre dont l'un rayait le lit juste au-dessous du pied comme pour en accentuer le volume et la vie. Quatre ou cinq klaxons sonnèrent à la fois. Découvert ? Combattre, combattre des ennemis qui se défendent, des ennemis éveillés !"

 

Incipit n°2 : Le Horla, Guy de Maupassant, 1886

"Quelle journée admirable ! J'ai passé toute la matinée étendu sur l'herbe, devant ma maison, sous l'énorme platane qui la couvre, l'abrite et l'ombrage toute entière. J'aime ce pays, et j'aime y vivre parce que j'y ai mes racines, ces profondes et délicates racines, qui attachent un homme à la terre où sont nés et morts ses aïeux, qui l'attachent à ce qu'on pense et à ce qu'on mange, aux usages comme aux nourritures, aux locutions locales, aux intonations des paysans, aux odeurs du sol, des villages et de l'air lui-même.

J'aime ma maison où j'ai grandi. De mes fenêtres je vois la Seine qui coule, le long de mon jardin, derrière la route, presque chez moi, la grande et large Seine, qui va de Rouen au Havre, couverte de bateaux qui passent."


Question 1

Relever dans chacun des incipits les marques des personnages en présence.

Dans le premier incipit, le personnage principal se prénomme "Tchen", le narrateur parle de lui à la troisième personne. On repère plusieurs occurrences des pronoms personnels "il" et "lui", l'ensemble du récit étant tourné à la troisième personne du singulier. Aussi, un autre personnage est mentionné par le narrateur, bien que complètement inerte, au travers de la mention "d'un corps moins visible qu'une ombre", avec "un pied", "vivant quand même".

Dans le second incipit en revanche, le personnage principal est également le narrateur de l'extrait. Le récit est écrit à la première personne, le lecteur peut percevoir les pensées du narrateur et du personnage à la fois, "J'aime ce pays, et j'aime y vivre".

Question 2

Le second incipit est-il nécessairement une autobiographie ? Quelle est la condition à remplir pour qu'il le soit ?

Le second incipit n'est pas forcément une autobiographie, nous n'avons pas ici d'informations supplémentaires permettant de l'affirmer. Il peut simplement être un récit écrit à la première personne avec un narrateur fictif.

Pour que le récit soit une autobiographie, il faut que les événements relatés par le narrateur-sujet soit issus ou inspirés de l'expérience vécue de l'auteur lui-même, soit que le narrateur-personnage soit aussi la représentation explicite de l'auteur dans le récit.

Question 3

Quels sont les points de vue employés par les narrateurs dans chacun de ces deux incipits ?

Dans chacun des deux textes, les narrateurs respectifs développent un point de vue interne, c'est-à-dire qu'ils placent le récit au niveau de la subjectivité du protagoniste. Le lecteur peut entrevoir les pensées, les actions et le vécu du personnage principal, en n'obtenant ni plus ni moins d'informations que ceux-ci n'en disposent. On remarque de plus que le point de vue interne peut être développé que le récit soit écrit à la première autant qu'à la troisième personne du singulier.