Exercice : Raisonnement s’appuyant sur un dossier documentaire - Annale Bac
Sujet : À l’aide de vos connaissances et du dossier documentaire, vous montrerez que le capital culturel transmis par la famille peut limiter la mobilité sociale.
DOCUMENT 1
Dans les études sur la démocratisation de l’enseignement [...], la prise en compte du capital culturel se fait le plus souvent en tenant compte de la scolarité des parents. Les écarts selon les diplômes des parents (en particulier celui de la mère) tendent à être plus importants que les écarts selon la profession du père, ce qui met en avant l’importance du « capital culturel ». Cependant, celui-ci peut être appréhendé d’autres façons :
- les parents ont des savoirs scolaires (et non scolaires) inégaux et peuvent ainsi plus ou moins facilement suivre et aider leurs enfants durant leur scolarité ;
- ce capital culturel peut aussi prendre la forme de différences matérielles. La présence de livres ou d’un ordinateur par exemple peut favoriser l’acquisition de savoirs et de compétences ;
- certaines pratiques culturelles, comme les visites au musée ou les sorties au cinéma, peuvent aussi indiquer la transmission de valeurs plus ou moins proches de l’école. Le style éducatif des familles a probablement aussi une influence ;
- enfin, il existe une dimension « stratégique » du capital culturel. La familiarité avec un système scolaire assez complexe permet de mieux guider l’enfant lors du choix d’un établissement, d’une option, d’une orientation.
Source : « Le retard scolaire en fonction du milieu parental : l’influence des compétences des parents », Fabrice MURAT, Économie et statistique, 2009.
DOCUMENT 2
Pour expliquer l’absence de réelle démocratisation scolaire, un autre argument – désormais bien connu – est celui de la filiarisation1 croissante du système éducatif. Au fur et à mesure que les taux de scolarisation progressent, les différents niveaux de l’enseignement voient leur structure se complexifier, avec la création de nouvelles filières. L’exemple le plus éloquent est probablement celui du baccalauréat. La création du baccalauréat technologique en 1968, puis celle du baccalauréat professionnel en 1985, contribuent beaucoup à la hausse du taux de bacheliers au fil des cohortes2 successives. Or ces différentes filières, qui ne préparent pas au même avenir, sont très clivées3 socialement : le tiers seulement des enfants d’ouvriers bacheliers de 2009 décrochent un baccalauréat général, contre les trois quarts des enfants de cadres supérieurs. En 2010, 36 % des candidats au baccalauréat professionnel ont un père ouvrier, contre seulement 15 % des élèves de classe de terminale générale. [...]
Les enfants d’ouvriers, lorsqu’ils poursuivent leurs études après le baccalauréat, sont surreprésentés dans le supérieur court (sections de techniciens supérieurs, IUT4) et sous-représentés dans les filières « nobles » des cursus universitaires (droit, médecine). La prise en compte du système des classes préparatoires et des grandes écoles vient encore accentuer les inégalités sociales de cursus dans l’enseignement supérieur. [...] La polarisation5 sociale des différentes filières de l’enseignement supérieur est très forte : là où les enfants de cadres sont extrêmement nombreux, les enfants d’ouvriers font figure d’exception statistique. Des travaux récents mettent en évidence une intensification de cette segmentation sociale : les filières d’excellence y sont encore plus socialement cloisonnées que les séries de baccalauréat les plus prestigieuses.
Source : Le destin au berceau, Camille PEUGNY, 2013.
1 : Diversification des filières.
2 : Générations.
3 : Nettement différenciées.
4 : Institut Universitaire de Technologie.
5 : Division.
DOCUMENT 3 : Actifs occupés en 2012, sortis de formation initiale depuis 11 ans ou plus, selon le diplôme (en %)
Diplôme du : | Bac et équivalents |
CAP5 - BEP6 et équivalents | Brevets, CEP7 | Ensemble | ||
Supérieur long3 | Supérieur court4 | |||||
Indépendants |
5,8 | 7,3 | 11,5 | 12,9 | 10,3 | 10,1 |
CPIS1 |
63,6 | 22,0 | 12,8 | 3,9 | 3,7 | 17,9 |
Prof.interm.2 |
23,2 | 49,9 | 30,1 | 16,8 | 11,5 | 23,7 |
Employés qualifiés |
4,3 | 13,3 | 21,8 | 17,1 | 115 | 14,0 |
Employés non qualifiés |
2,0 | 4,0 | 10,9 | 17,2 | 26,2 | 13,8 |
Ouvriers qualifiés |
0,7 | 2,4 | 9,1 | 24,9 | 22,3 | 14,2 |
Ouvriers non qualifiés |
0,4 | 1,1 | 3,6 | 7,2 | 14,5 | 6,3 |
Ensemble | 100,0 | 100,0 | 100,0 | 100,0 | 100,0 | 100,0 |
Champ : France métropolitaine.
1 : Cadres et professions intellectuelles supérieures. 2 : Professions intermédiaires.
3 : Diplôme de niveau supérieur à bac + 2.
4 : Diplôme de niveau bac + 2.
5 : Certificat d’Aptitude Professionnelle.
6 : Brevet d’Études Professionnelles.
7 : Certificat d’Études Primaires, ancien diplôme délivré à la sortie de l’école primaire.
Source : INSEE, 2016.
Introduction :
Dans tous les projets défendus lors de l’élection présidentielle de 2017, notamment en matière d’éducation, un enjeu ressort : « réparer l’ascenseur social ». Dans une société qui pose comme idéal l’égalité, l’enrayement de l’évolution de la structure sociale avec l’installation durable d’une reproduction sociale endémique cristallise les passions politiques.
Par mobilité sociale, on entend un changement de statut social de l’individu, dans le temps, ou par rapport à ces parents. La reproduction sociale, c’est dans ce sens l’immobilité sociale. Une des causes est le capital culturel, c’est-à-dire un ensemble de normes, de valeurs de manières d’être (capital culturel incorporé) et de divers biens et activités culturelles (capital culturel objectivé) par la famille. Il s’agit au sens de l’INSEE, une partie d’un ménage comprenant au moins deux personnes et comprenant au moins soit un couple vivant au sein du ménage, avec le cas échéant son ou ses enfant(s) appartenant au même ménage, soit un adulte avec son ou ses enfant(s) appartenant au même ménage (famille monoparentale). Cette vie commune en famille, que la philosophie a rapidement identifié comme la première société dans laquelle l’individu est intégré, est donc une étape importante dans la constitution du capital culturel d’un individu.
Mais en quoi ce capital culturel hérité peut-il être moteur de reproduction sociale ?
A) L’analyse de Bourdieu
- Dans son analyse, Pierre Bourdieu distingue deux types de capital culturel, qui peuvent être transmis par la famille.
Capital culturel « incorporé » = habitus : manière d’être, comportement, allure générale.
-
Transmission par chaque catégorie de ses codes. Or, l’école a les mêmes codes, ou des codes proches de ceux des catégories supérieures. Cf. doc. 1 : « certaines pratiques culturelles, comme les visites au musée ou les sorties au cinéma, peuvent aussi indiquer la transmission de valeurs plus ou moins proches de l’école. Le style éducatif des familles a probablement aussi une influence ».
-
Autre exemple, l’école sanctionne positivement les connaissances culturelles acquises en dehors de son cadre. Or, plus de chance pour les fils de professeurs d’aller au musée que pour les fils d’agriculteurs.
-
Modèle de réussite dans les classes populaires sont ceux où les enfants ont baigné dans un environnement culturel où la réussite scolaire est mise au-dessus de tout. Il n’y a donc pas uniquement reproduction sociale. Doc 3 : part plus importante de diplômé du supérieur long chez les employés qualifiés que chez les non qualifiés alors que part environ égale.
Capital culturel « objectivé » : possession de biens culturels :
- Ex : une grande bibliothèque à la maison. Doc 1.
- Favorise les classes aisées et les enfants ayant des parents au capital culturel important (professeurs, médecins, avocats...) -> part très importante de CPIS dans les diplômés du supérieur long.
B) L’influence des stratégies familiales avec Raymond Boudon
- Avec Raymond Boudon, on retrouve une théorie proche de l’habitus de Bourdieu, mais appliqué plus strictement au système scolaire : le comportement des individus face aux choix que constitue un parcours scolaire différent selon l’origine sociale.
Application du modèle du marché à la mobilité sociale
L'individu fait des choix qu’il rationalise avec une réflexion coût/avantages sur le modèle de l’utilité marginale :
- Compare les coûts (monétaires, mais aussi en temps, ou sur la question de la décision s’éloigner du domicile familial...) et les gains attendus (gains monétaires, sociaux, culturels...)
- Une année de formation rapporte-t-elle assez pour justifier les sacrifices qu’elle demande ?
Origine sociale modifie les comportements et les décisions.
Prise en compte de l’aspect économique :
- Une année de formation supplémentaire d’un enfant pèsera relativement moins lourd dans le budget de ses parents si celui-ci est plus aisé que si celui-ci est plus modeste. Donc le coût est plus faible pour les catégories supérieures. Doc. 3 : surreprésentation des PI dans le supérieur court par exemple.
Prise en compte de la distance parcourue par rapport à la position sociale de ses parents.
-
Plus la position sociale des parents est élevée, plus les enfants (poussés par leurs parents) auront tendance à avoir une ambition élevée. Ce qui leur apparaîtra comme étant une mobilité sociale descendante (un fils de CPIS devient profession intermédiaire) sera pour un fils de classe inférieure une ascension sociale (un fils d’ouvrier devient profession intermédiaire). Donc l’utilité marginale d’une année de formation supplémentaire sera plus élevée pour un enfant de classe supérieure que pour un enfant de classe inférieure.
-
Doc 2 : filiarisation rend accessible à un plus grand nombre de jeunes le baccalauréat, mais pas les mêmes ambitions selon l’origine -> surreprésentation des classes sociales inférieures dans les séries technologiques du bac, puis du supérieur court.