L'énoncé
Extrait du chapitre 3 de la première partie de Germinal (1885) d'Emile Zola.
Il ne comprenait bien qu'une chose : le puits avalait des hommes par bouchées de vingt et de trente, et d'un coup de gosier si facile, qu'il semblait ne pas les sentir passer. Dès quatre heures, la descente des ouvriers commençait. Ils arrivaient de la baraque, pieds nus, la lampe à la main, attendant par petits groupes d'être en nombre suffisant. Sans un bruit, d'un jaillissement doux de bête nocturne, la cage de fer montait du noir, se calait sur les verrous, avec ses quatre étages contenant chacun deux berlines pleines de charbon. Des moulineurs, aux différents paliers, sortaient les berlines, les remplaçaient par d'autres, vides ou chargées à l'avance des bois de taille. Et c'était dans les berlines vides que s'empilaient les ouvriers, cinq par cinq, jusqu'à quarante d'un coup, lorsqu'ils tenaient toutes les cases. Un ordre partait du porte-voix, un beuglement sourd et indistinct, pendant qu'on tirait quatre fois la corde du signal d'en bas, "sonnant à la viande", pour prévenir de ce chargement de chair humaine. Puis, après un léger sursaut, la cage plongeait silencieuse, tombait comme une pierre, ne laissait derrière elle que la fuite vibrante du câble.
- C'est profond ? demanda Etienne à un mineur, qui attendait près de lui, l'air somnolent.
- Cinq cent cinquante-quatre mètres, répondit l'homme. Mais il y a quatre accrochages au-dessus, le premier à trois cent vingt.
Tous deux se turent, les yeux sur le câble qui remontait. Etienne reprit :
- Et quand ça casse ?
- Ah! quand ça casse...
Le mineur acheva d'un geste. Son tour était arrivé, la cage avait reparu, de son mouvement aisé et sans fatigue. Il s'y accroupit avec des camarades, elle replongea, puis jaillit de nouveau au bout de quatre minutes à peine, pour engloutir une autre charge d'hommes. Pendant une demi-heure, le puits en dévora de la sorte, d'une gueule plus ou moins gloutonne, selon la profondeur de l'accrochage où ils descendaient, mais sans un arrêt, toujours affamé, de boyaux géants capables de digérer un peuple. Cela s'emplissait, s'emplissait encore, et les ténèbres restaient mortes, la cage montait du vide dans le même silence vorace.
Question 1
Relever dans ce texte le champ lexical de la mine.
Le champ lexical de la mine se manifeste à travers les termes suivants : "puits ", "la baraque", "la cage de fer" (qui représente l'ascenseur qui fait monter et descendre les ouvriers et le charbon), "berlines pleines de charbon", "porte-voix", "moulineurs" et "câble".
Le champ lexical est l'ensemble des mots qui se rapportent à un même thème.
Question 2
En quoi ce texte est-il un texte réaliste ?
Ce texte comporte de longues et minutieuses descriptions, interrompues seulement par un court dialogue (qui offre également des éléments descriptifs). Ces descriptions permettent au lecteur de comprendre précisément les différents éléments de l'univers de la mine, y compris ses éléments les plus techniques, des "berlines de charbon" que l'on monte par un système de monte-charge jusqu'aux cadences imposées aux ouvriers. On apprend ainsi par exemple que les ouvriers commencent le travail ("dès 4 heures"), qu'il y a "20 ou 30" mineurs qui descendent à la fois, que la profondeur de la mine est de "cinq cent cinquante-quatre mètres", ou encore que le temps que prend le monte-charge pour descendre et remonter est de "4 minutes à peine".
Ceci donne une forte crédibilité, l'impression pour le lecteur de découvrir dans tous ses détails l'univers de la mine, ainsi que l'état d'esprit, les humeurs et les peurs des mineurs. Ce texte est donc typique du mouvement réaliste, d'autant que Zola offre à voir à ses lecteurs (plutôt issus des classes urbaines ou des bourgeoisies rurales) un univers nouveau et qu'ils ignorent totalement : le monde des mineurs, qui émerge lors de la Révolution industrielle et donc lors de la deuxième moitié du XIXe siècle. Cette volonté d'exposer des groupes et des activités professionnelles peu connus fait partie de l'ambition des Réalistes : donner à voir la société dans son ensemble et dans sa diversité.
Il faut ici mobiliser les caractéristiques du réalisme présentées dans la vidéo.
Attardez-vous sur le contexte social qui est présenté par ce texte. Pensez-vous qu'il était fréquent d'évoquer la vie des mineurs dans les romans à l'époque de Zola ?
Question 3
Qu’est-ce que Zola décrit par cette phrase : "Pendant une demi-heure, le puits en dévora de la sorte, d'une gueule plus ou moins gloutonne, selon la profondeur de l'accrochage où ils descendaient, mais sans un arrêt, toujours affamé, de boyaux géants capables de digérer un peuple".
Quel effet cela produit-il ?
Zola décrit ici la descente de l'ensemble des mineurs le matin dans la mine, qui dure une demi-heure. Il emploie cependant une métaphore originale, comparant cette descente des mineurs à une digestion, à un repas effectué par le puits, comme le révèle les termes : "dévora", "gloutonne", "affamé", "digérer". La mine, personnifiée, devient alors une sorte de monstre capable de dévorer les hommes.
Cette personnification (on donne des traits animés, vivants, à un objet inanimé, un puits) doublée d'une métaphore (on compare la descente des mineurs à une digestion des mineurs par la mine) produit un effet particulièrement angoissant et effrayant. La mine est présentée comme un lieu terrible, comme un prédateur capable de manger (donc de détruire) des hommes.
Que se passe-t-il réellement "pendant une demi-heure" ? Quelle est la métaphore qu'emploie Zola ?
Pour rappel, une métaphore est une image (on compare une chose à une autre) comme la comparaison, à la différence que la métaphore n'utilise pas d'outils de comparaison ("comme", "à la manière de", "tel").