Cours Le fantastique

Exercice - La Vénus d'Ille, Mérimée

L'énoncé

Extrait de "La Vénus d’Ille", Mérimée, 1837.

[Le narrateur réside chez Monsieur de Peyrehorade, qui a découvert par hasard une statue de Vénus enterrée sous un olivier. En la sortant de terre, la statue est tombée sur Jean Coll qui aidait à la déterrer, lui brisant la jambe. La statue intrigue alors le village et les superstitieux, par sa beauté et parce qu’elle semble avoir déjà été la cause d’un accident].

En ce moment, deux polissons de la ville passaient sur le jeu de paume, assez près de la haie, sifflant le joli air du Roussillon : Montagnes régalades. Ils s’arrêtèrent pour regarder la statue ; un d’eux l’apostropha même à haute voix. Il parlait catalan ; mais j’étais dans le Roussillon depuis assez longtemps pour pouvoir comprendre à peu près ce qu’il disait.

“Te voilà donc, coquine ! (Le terme catalan était plus énergique.) Te voilà ! disait-il. C’est donc toi qui as cassé la jambe à Jean Coll ! Si tu étais à moi, je te casserais le cou.

— Bah !, avec quoi ? dit l’autre. Elle est de cuivre, et si dure qu’Étienne a cassé sa lime dessus, essayant de l’entamer. C’est du cuivre du temps des païens ; c’est plus dur que je ne sais quoi.

— Si j’avais mon ciseau à froid (il paraît que c’était un apprenti serrurier), je lui ferais bientôt sauter ses grands yeux blancs, comme je tirerais une amande de sa coquille. Il y a pour plus de cent sous d’argent.” Ils firent quelques pas en s’éloignant.

“Il faut que je souhaite le bonsoir à l’idole”, dit le plus grand des apprentis, s’arrêtant tout à coup.

Il se baissa, et probablement ramassa une pierre. Je le vis déployer le bras, lancer quelque chose, et aussitôt un coup sonore retentit sur le bronze. Au même instant l’apprenti porta la main à sa tête en poussant un cri de douleur.

“Elle me l’a rejetée !” s’écria-t-il.

Et mes deux polissons prirent la fuite à toutes jambes.

Il était évident que la pierre avait rebondi sur le métal, et avait puni ce drôle de l’outrage qu’il faisait à la déesse.

Je fermai la fenêtre en riant de bon cœur.


Question 1

Le cadre du récit, l’univers, semble-t-il réaliste ?

Le cadre est tout-à-fait réaliste et crédible. L'action se déroule en effet dans une petite ville de la région du Roussillon (comme l'informe l'indication à la ligne 1 : "sifflant le joli air du Roussillon"). Les éléments descriptifs donnent au récit un cadre spatial précis et réel (par exemple "il parlait catalan").

De plus, le registre familier employé par les deux apprentis (manifesté par exemple dans l'expression "cassé sa lime dessus" pour dire "s'est cassé la jambe") renforce le caractère réaliste de la scène.

Question 2

Comment les deux apprentis perçoivent-ils la statue ? Quel effet cela produit-il sur le lecteur ?

La statue est personnifiée par les deux apprentis : "un d’eux l’apostropha même à haute voix", "C’est donc toi qui as cassé la jambe à Jean Coll !" ou encore "Elle me l’a rejetée !".

Cette personnification traduit le sentiment qu'ont les deux apprentis que la statue soit un être animé, mauvais, capable de faire du mal, et notamment, de casser la jambe de quelqu'un.

Cela donne au lecteur l'impression de quelque chose d'étrange, le sentiment d'une atmosphère inquiétante, voire dangereuse.

Penser à la figure de style suivante : la personnification.


Une personnification, c’est donner des traits humains à un objet non humain.

Question 3

Quel est l’événement surnaturel de l’extrait ? Cet événement surnaturel permet-il de dire qu'il s'agit d'un registre fantastique ?

L'événement surnaturel de l'extrait est le fait que la pierre, jetée par un apprenti sur la statue, lui ait été renvoyée à la figure. On pourrait penser ainsi que la statue se soit défendue, et qu'elle ait contre-attaqué. C'est du moins ce que pense l'apprenti lorsqu'il s'exclame "Elle me l'a rejetée !".

Puisque l'action se déroule dans un cadre réaliste, cet événement surnaturel et effrayant montre bien que la nouvelle de Mérimée constitue une nouvelle fantastique.

Question 4

Quelle est l’interprétation que le narrateur a de l’événement ?

Le narrateur, contrairement aux apprentis, ne pense pas que la statue ait contre-attaqué. Il a une explication rationnelle de l'événement : la pierre aurait rebondi sur la statue et aurait atterri, par coïncidence, sur la tête de l'apprenti qui l'avait lancée : "Il était évident que la pierre avait rebondi sur le métal".

Il s'agirait donc d'un événement surprenant, étrange, mais qui pourrait néanmoins s'expliquer, et le narrateur ne s'inquiète pas : "Je fermai la fenêtre en riant de bon cœur".

 

Il faut analyser les phrases suivantes : 

"Il était évident que la pierre avait rebondi sur le métal, et avait puni ce drôle de l’outrage qu’il faisait à la déesse.

Je fermai la fenêtre en riant de bon cœur.".

 


Le narrateur a-t-il une explication rationnelle, ou surnaturelle de l'événement ?

Question 5

Cette réaction du narrateur est-elle classique du registre fantastique ?

Très souvent dans le registre fantastique, il y a un effet de crescendo : les premières manifestations surnaturelles sont étranges, mais peuvent toutefois s'expliquer, puis deviennent de plus en plus inexplicables créant un malaise et une tension grandissants chez le lecteur.

Les héros des oeuvres fantastiques cherchent donc souvent tout d'abord des explications logiques à ces événements étranges, jusqu'à ce que plus aucun raisonnement logique ne puisse expliquer ces phénomènes surnaturels.