Cours L'écrivain au service du journalisme

Exercice - "J'accuse" d'Emile Zola

L'énoncé

"J'accuse" d'Emile Zola, paru dans le journal L'Aurore le 13 janvier 1898.

[Dreyfus, officier juif de l'Armée française a été accusé et condamné sous fond d'antisémitisme de traîtrise. Pourtant en 1896 les services de renseignement découvre l’identité du véritable traître, le commandant Esterhazy. L'Armée française toutefois, afin de ne pas avouer sa faute, acquitte Esterhazy en 1898 et laisse Dreyfus en prison. C'est à la suite de ces événements qu'Emile Zola, romancier français, s'exprime dans le journal l'Aurore].

Monsieur le Président,

Me permettez-vous, dans ma gratitude pour le bienveillant accueil que vous m’avez fait un jour, d’avoir le souci de votre juste gloire et de vous dire que votre étoile, si heureuse jusqu’ici, est menacée de la plus honteuse, de la plus ineffaçable des taches?

Vous êtes sorti sain et sauf des basses calomnies, vous avez conquis les cœurs. Vous apparaissez rayonnant dans l’apothéose de cette fête patriotique que l’alliance russe a été pour la France, et vous vous préparez à présider au solennel triomphe de notre Exposition universelle, qui couronnera notre grand siècle de travail, de vérité et de liberté. Mais quelle tache de boue sur votre nom – j’allais dire sur votre règne – que cette abominable affaire Dreyfus ! Un conseil de guerre vient, par ordre, d’oser acquitter un Esterhazy, soufflet suprême à toute vérité, à toute justice. Et c’est fini, la France a sur la joue cette souillure, l’histoire écrira que c’est sous votre présidence qu’un tel crime social a pu être commis.

Puisqu’ils ont osé, j’oserai aussi, moi. La vérité, je la dirai, car j’ai promis de la dire, si la justice, régulièrement saisie, ne la faisait pas, pleine et entière. Mon devoir est de parler, je ne veux pas être complice. Mes nuits seraient hantées par le spectre de l’innocent qui expie là-bas, dans la plus affreuse des tortures, un crime qu’il n’a pas commis.

Et c’est à vous, monsieur le Président, que je la crierai, cette vérité, de toute la force de ma révolte d’honnête homme. Pour votre honneur, je suis convaincu que vous l’ignorez. Et à qui donc dénoncerai-je la tourbe malfaisante des vrais coupables, si ce n’est à vous, le premier magistrat du pays ?

[...].

J’accuse le lieutenant-colonel du Paty de Clam d’avoir été l’ouvrier diabolique de l’erreur judiciaire, en inconscient, je veux le croire, et d’avoir ensuite défendu son œuvre néfaste, depuis trois ans, par les machinations les plus saugrenues et les plus coupables.

J’accuse le général Mercier de s’être rendu complice, tout au moins par faiblesse d’esprit, d’une des plus grandes iniquités du siècle.

J’accuse le général Billot d’avoir eu entre les mains les preuves certaines de l’innocence de Dreyfus et de les avoir étouffées, de s’être rendu coupable de ce crime de lèse-humanité et de lèse-justice, dans un but politique, et pour sauver l’état-major compromis.

J’accuse le général de Boisdeffre et le général Gonse de s’être rendus complices du même crime, l’un sans doute par passion cléricale, l’autre peut-être par cet esprit de corps qui fait des bureaux de la guerre l’arche sainte, inattaquable.

J’accuse le général de Pellieux et le commandant Ravary d’avoir fait une enquête scélérate, j’entends par là une enquête de la plus monstrueuse partialité, dont nous avons, dans le rapport du second, un impérissable monument de naïve audace.

J’accuse les trois experts en écritures, les sieurs Belhomme, Varinard et Couard, d’avoir fait des rapports mensongers et frauduleux, à moins qu’un examen médical ne les déclare atteints d’une maladie de la vue et du jugement.

J’accuse les bureaux de la guerre d’avoir mené dans la presse, particulièrement dans L’Eclair et dans L’Echo de Paris, une campagne abominable, pour égarer l’opinion et couvrir leur faute.

J’accuse enfin le premier conseil de guerre d’avoir violé le droit, en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète, et j’accuse le second conseil de guerre d’avoir couvert cette illégalité, par ordre, en commettant à son tour le crime juridique d’acquitter sciemment un coupable. [...].


Question 1

A qui s’adresse réellement cette lettre ouverte d’Emile Zola parue dans LAurore ?

La lettre s’adresse officiellement au Président de la République (qui a peu de pouvoir sous la IIIe République mais est garant des institutions), ainsi que le signale les premiers mots « Monsieur le Président ». En réalité cependant, la lettre s’adresse à l’ensemble des citoyens français, et c’est pourquoi Zola la publie dans un journal (on parle de « lettre ouverte »). Zola espère, par sa prise de position publique, influencer l'opinion publique sur l'affaire Dreyfus.

Cette lettre s’adresse-t-elle seulement au Président de la République ?

Question 2

Zola est un romancier très célèbre. « J’accuse » fait partie du genre du roman, de l’argumentation, du théâtre ou de la poésie ? Pourquoi ?

Bien que Zola soit un romancier, il décide d'utiliser le journal L'Aurore afin d'exprimer son opinion sur une polémique (un débat important qui division les gens) de son époque, l'Affaire Dreyfus. Il s'agit donc d'un texte argumentatif, où l'auteur défend une thèse : ce n'est pas Dreyfus qui est coupable, mais l'Armée et la Justice française qui sont coupables de mensonge.

Cette volonté de sortir de son rôle de simple écrivain est évidente dans cette phrase : "Mon devoir est de parler, je ne veux pas être complice. Mes nuits seraient hantées par le spectre de l’innocent qui expie là-bas, dans la plus affreuse des tortures, un crime qu’il n’a pas commis.". Pour Zola ainsi il est de son "devoir" de s'exprimer publiquement sur la question, et un silence, un refus de prendre part au débat public s'apparenterait à une complicité avec les décisions de l'Armée française.

On peut pour répondre s'appuyer notamment sur cette phrase : "Mon devoir est de parler, je ne veux pas être complice. Mes nuits seraient hantées par le spectre de l’innocent qui expie là-bas, dans la plus affreuse des tortures, un crime qu’il n’a pas commis".

Question 3

De quoi Zola se fait-il le défenseur ?

Zola ne se fait pas directement le défenseur d'Alfred Dreyfus, mais annonce prendre la parole au nom d'un principe plus grand : celui de "la vérité". Il déclare ainsi "la vérité, je la dirai, car j’ai promis de la dire". 

Question 4

Quel effet produit la répétition des « j’accuse » ?

En répétant une série d'accusation, non seulement l'anaphore (=la répétition en début de phrase) des "j'accuse" donne de la force et du dynamisme à son discours, mais Zola s'approprie le rôle habituel de la justice. C'est, en effet, normalement, l'institution judiciaire qui formule des accusations, puis qui doit ensuite faire la vérité sur ces accusations, en condamnant ou acquittant.

Or, ainsi que l'affirme Zola, la justice ne joue pas ici son rôle et ne fait pas "la vérité pleine et entière". Le romancier se fait donc lui-même le porte-voix de la justice et de la vérité et lance, à la manière d'un procureur, une série d'accusations.

Quelle est, normalement, l'institution qui formule des accusations ?