L'énoncé
Alfred de Musset, "Se voir le plus possible", Poésies Nouvelles (1850).
Se voir le plus possible et s'aimer seulement,
Sans ruse et sans détours, sans honte ni mensonge,
Sans qu'un désir nous trompe, ou qu'un remords nous ronge,
Vivre à deux et donner son coeur à tout moment ;
Respecter sa pensée aussi loin qu'on y plonge,
Faire de son amour un jour au lieu d'un songe,
Et dans cette clarté respirer librement -
Ainsi respirait Laure et chantait son amant.
Vous dont chaque pas touche à la grâce suprême,
C'est vous, la tête en fleurs, qu'on croirait sans souci,
C'est vous qui me disiez qu'il faut aimer ainsi.
Et c'est moi, vieil enfant du doute et du blasphème,
Qui vous écoute, et pense, et vous réponds ceci :
Oui, l'on vit autrement, mais c'est ainsi qu'on aime.
Question 1
Dans ce poème, de quel sentiment Alfred de Musset parle-t-il ?
Alfred de Musset parle d’amour, ainsi que le révèle notamment l’usage du verbe aimer dès le premier vers (« s’aimer seulement ») et la clôture du poème par le verbe aimer, encore une fois employé à la toute fin du dernier vers (« qu’on aime »).
Question 2
En quoi ce poème constitue-t-il un poème lyrique ?
Le registre lyrique est évident par l’évocation des sentiments, et en particulier d’un des sentiments les plus forts : l’amour. Musset emploie ainsi le cliché du « don du cœur », pour signifier l’amour total pour une personne, au vers 4. Autre caractéristique du registre lyrique, Musset utilise également la première personne du singulier, le « je », afin de livrer ses sentiments et pensées les plus personnelles, ainsi que le révèle les termes « Et c’est moi, » au vers 12. Enfin, le vocabulaire de la musique est présent par le verbe « chanter » au vers 8.
On peut ajouter que le lyrisme est également manifeste à travers la forme du poème, le sonnet (un sonnet est un poème qui débute par deux quatrains – des strophes de quatre vers – et finit par deux tercets – des strophes de trois vers), qui donne une musicalité au poème, le faisant ressembler à une sorte de chant.
Il faut se souvenir des caractéristiques du registre lyrique : notamment l’usage du « je », l’insistance sur les sentiments et parfois l’emploi du vocabulaire de la musique.
Question 3
Qu’est-ce que le vers 8 signifie-t-il : « Ainsi respirait Laure et chantait son amant » ?
Le vers 8 signifie que l’ensemble de ce qui est écrit avant dans le poème est ce qui est énoncé par les deux amoureux (Laure et son amant), comme le révèle la conjonction de coordination « ainsi ». Les vers 1 à 7 constituent donc les promesses que se font les deux personnes : un amour total, constant, franc, honnête, sans jalousie et dans le respect des pensées et idées de l’autre. Le vers 8 traduit très nettement l’aspect lyrique du poème, puisque l’amour est ici « respiré » et « chanté », ce qui donne un aspect doux et serein (à la manière d’une respiration) et musicale (à la manière d’un chant) à la déclaration amoureuse.
Pour aller plus loin, on note déjà dans le couple qui est présenté (Laure et son amant) une différence d’engagement dans la relation amoureuse. Laure en effet « respire » la vision de l’amour exprimée des vers 1 à 7, comme si cette façon d’aimer lui était totalement naturelle, évidente et nécessaire, de la même façon que le fait de respirer. L’amant au contraire « chante » cette façon d’aimer, c’est-à-dire l’énonce, la proclame, mais donc d’une façon plus distante.
Il faut penser au lien avec le registre lyrique.
Qu’est-ce que cela signifie-t-il de l’ensemble des vers qui se trouvent avant (du vers 1 à 7) ?
Question 4
A qui l'auteur s’adresse-t-il dans la troisième strophe (vers 9 à 11) ?
L'apostrophe "c'est vous" répétée au vers 10 et 11 montre que Musset s'adresse ici à la femme qu'il aime. Il y a ainsi une soudaine rupture dans le poème : l'amour idyllique qui a été présenté dans les vers précédents et ainsi l'amour que porte cette femme, et non pas celui du poète.
Question 5
Interpréter le dernier vers : « Oui, l'on vit autrement, mais c'est ainsi qu'on aime ».
Musset signifie par ce vers qu'effectivement, sa vie ne répond pas à cet idéal de la relation amoureuse. En se décrivant comme un "vieil enfant du doute et du blasphème", Musset suggère qu'il n'ait pas été totalement fidèle à la femme qu'il aime, qui l'ait trompée et peut-être parfois délaissée.
Toutefois, s'il ne vit pas comme il le devrait, il ajoute bien que "c'est ainsi qu'on aime". Ainsi, malgré ses erreurs, ses manquements à la relation amoureuse parfaite, idéale, ses sentiments sont bien les mêmes que ceux de son amante. Simplement, pour Musset, la pratique, le concret de la relation amoureuse n'obéit pas toujours aux sentiments.
Question 6
D’après ce poème, le lyrisme exprime-t-il toujours une vision totalement idéalisée de la relation amoureuse ?
Le lyrisme est souvent employé (mais pas seulement) pour évoquer le sentiment amoureux. Cependant, comme le montre ce poème, le lyrisme n'est pas toujours utilisé pour peindre un amour très cliché, passionnel, total, et honnête.
Si, en effet, les deux premières strophes du poème semblent décrire de façon très convenue (= très clichée) la relation amoureuse, les deux dernières strophes produisent une sorte de chute, un renversement inattendu : l'auteur avoue son infidélité, une vie différente de celle de la relation amoureuse idéale.
Une vision idéalisée est une image trop parfaite, trop loin de la réalité.