Cours Le Rouge et le Noir, Stendhal

Dissertation - Le Rouge et le Noir, Stendhal

L'énoncé

Objet d’étude : Stendhal, Le Rouge et le Noir (1830), et le parcours associé « le personnage de roman, esthétiques et valeurs »

 

Sujet de dissertation : Dans un article qu’il écrit à propos de son roman Le Rouge et le Noir, Stendhal dit qu’on y trouve des « personnages peints avec vérité, mais peu aimables. »

Que pensez-vous de cette affirmation ? Vous répondrez à cette question dans un développement structuré. Votre travail prendra appui sur le roman de Stendhal, sur les textes et documents étudiés en classe dans le cadre du parcours associé à du parcours associé à cette œuvre, et sur votre culture personnelle.

 

Le but (et la difficulté) n’est surtout pas de montrer que vous connaissez votre cours : le plaquage de notions va à l’encontre de l’exercice. Plutôt, il faut penser le sujet comme le moyen de redécouvrir votre rapport à l’œuvre : c’est un prétexte à un enrichissement de votre lecture du roman et de son parcours, pour ainsi dire. Le cours, vos exemples, vont servir de nourriture intellectuelle à une pensée qui va prendre forme.


Question 1

Analyser le sujet et en définir les termes.

- peints avec vérité : à relier à l’ambition réaliste du roman au XIXe siècle + à relier aux défauts parfois grands des personnages (l’hypocrisie de Julien Sorel par exemple).

- mais peu aimables : le réalisme veut que le réel représenté ne soit pas sublimé. La littérature, pour les réalistes du XIXe siècle (car il ne faut pas perdre de vue qu’il y a toujours eu une « ambition réaliste » d’une certaine littérature), ne doit donc pas répugner à montrer les défauts, les vices, les laideurs, les médiocrités, trivialités et banalités du monde. Ce « mais » est donc à comprendre non pas comme un « mais » d’objection, mais un « mais » d’avertissement : les personnages peints avec vérité sont peu aimables.

D’où notre question : si les personnages sont peu aimables, les déteste-t-on pour autant ? Avez-vous détesté Julien Sorel ?

Un sujet de dissertation comporte souvent un problème ou un paradoxe. C’est là qu’on va trouver le moyen de le reformuler en problématique. Il faut partir d’une définition des termes du sujet pour bien cerner ses contours, ses enjeux, et éviter le hors sujet.

Question 2

Elaborer une problématique.

Peindre les personnages avec vérité, n’est-ce pas proposer des personnages qui nous ressemblent et auxquels on peut s’identifier, malgré leurs défauts ?

Question 3

Rédiger une introduction.

Au XIXe siècle, le mouvement réaliste s’impose pour de nombreux artistes. Ceux-ci considèrent que l’art ne doit pas donner une image idéalisée du réel, mais au contraire le représenter tel qu’il serait, dans toutes ses facettes, des plus belles aux plus laides. Ainsi les auteurs s’emparent de sujets considérés alors souvent comme peu nobles ou inintéressants pour fournir la matière de romans : le quotidien ou le contemporain les intéressent. Par exemple, Stendhal s’inspire d’un fait divers (l’affaire Berthet) lorsqu’il écrit Le Rouge et le Noir, publié en 1831. Il invente l’histoire de ce jeune homme condamné à mort pour avoir tiré sur sa maîtresse. C’est peut-être d’ailleurs pour cela qu’il dira lui-même dans un article à propos de son roman, que ce sont des « personnages peints avec vérité, mais peu aimables. » Stendhal semble donc avertir que les personnages réalistes ne seraient ou ne devraient pas être appréciés par les lecteurs. Et en effet, lorsqu’on s’attache à décrire ce roman qui suit la progression d’un personnage pétri de défauts, le premier étant l’hypocrisie, il semble que Julien Sorel soit peu aimable. Pourtant, peint avec réalisme, Julien Sorel ne se résume pas à ses défauts, et peut attendrir ou intéresser le lecteur : Stendhal a aussi montré la complexité de l’homme à travers ses personnages, selon cette ambition réaliste. Ainsi, nous essaierons de montrer comment peindre des personnages avec vérité, c’est proposer la peinture de personnages qui nous ressemblent et que l’on peut apprécier, malgré leurs défauts. Nous montrerons que les personnages peu aimables du roman servent certes à dévoiler les apparences d’une réalité contemporaine peu flatteuse : le roman est une satire de 1830. Pour autant, les personnages principaux que l’on découvre dans leur complexité cristallisent l’intérêt des lecteurs, parce qu’ils sont peints avec vérité, peu aimables, mais aussi plus riches que leurs défauts.

Rappel des 4 étapes :

- l’amorce (facultative mais bienvenue)

- la présentation du sujet en lien avec l’œuvre et le parcours au programme

- la problématique

- l’annonce du plan

Question 4

Proposer un plan détaillé.

I. La médiocrité du réel : dévoiler les apparences d’une réalité peu flatteuse

 

On étudie ici la dimension réaliste du roman, pour montrer comment les « personnages peints avec vérité » sont « peu aimables ».

 

1. Le roman réaliste : tout un personnel secondaire médiocre

N’oublions pas que le sous-titre du roman est « Chronique de 1830 », et que le roman a en partie été écrit en plein durant la Révolution de Juillet. Le roman doit donc aussi être lu comme un tableau de mœurs et un discours sur l’état de la société française à l’époque contemporaine de son écriture.

A travers les mesquineries des personnages, on assiste à une critique radicale de la société de la Restauration.

Exemple : les intrigues de l’abbé Picard.

2. Julien, hypocrite et arriviste. La réalité d’une époque

S’il y a un personnage qu’on pourrait trouver « peu aimable », c’est le personnage principal, Julien Sorel, tant il est pétri de défauts. Son plus grand défaut, l’hypocrisie, est perçue par le lecteur grâce à l’usage notamment de la focalisation interne.

En exemple, prenez une de vos lectures analytiques qui s’intéresse au personnage de Julien Sorel, ou une scène qui vous a marquée.

3. D’ailleurs, ne sont-ce pas les personnages les moins « réalistes » qui sont les plus aimables dans le roman ?

Certains personnages tirent davantage du côté du romantisme que du réalisme. Songeons notamment aux deux figures féminines du roman, Mme de Rênal et Mathilde de la Mole. Leur aspiration au sublime les rend plus facilement appréciables et admirables.

Exemple : la fin du roman et leurs attitudes respectives.

Bilan de la partie et transition : Le Rouge et le Noir oscille entre réalisme et romantisme, et il faut noter alors un paradoxe : Julien Sorel n’est pas complètement un personnage aimable, mais il n’est pas complètement un personnage réaliste non plus. Quelque chose de l’esthétique romantique gît encore en lui. Ce mélange des esthétiques peut renvoyer alors à une image de l’homme « peint avec vérité », à savoir, dans toute sa complexité.

 

II. De la complexité du personnage et de l’homme : on aime finalement les personnages qui nous ressemblent et qui nous échappent tout à la fois

 

Il s’agit ici de montrer comment les personnages « peints avec vérité » sont ceux qui renvoient à la complexité de l’homme et à ses propres mystères. De là, il apparaît que la question n’est pas tant de dire que ces « personnages peints avec vérité » sont peu aimables, mais qu’au contraire leurs défauts font d’eux des personnages pour lesquels on peut éprouver de l’empathie voire entrer en sympathie. Autrement dit, ils sont peu aimables, mais c’est pour cela qu’on peut les aimer.

 

1. Des personnages pétris par une société peu aimable

Julien Sorel est peu aimable car il n’a d’autre choix pour progresser dans cette société sclérosée. Son hypocrisie et sa lâcheté s’expliquent aussi parce que la Révolution tue les ambitions dans l’œuf et empêche les forces dynamiques de la jeunesse de s’exprimer. Alors, Sorel peut attirer la sympathie du lecteur.

Exemple : rappelez-vous ces phrases célèbres tirées du roman :

« un roman est un miroir qui se promène sur une grande route. Tantôt il reflète à vos yeux l’azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route. Et l’homme qui porte le miroir dans sa hotte sera accusé par vous d’être immoral ! Son roman montre la fange, et vous accusez le miroir ! Accusez bien plutôt le grand chemin où est le bourbier, et plus encore l’inspecteur des routes qui laisse l’eau croupir et le bourbier se former. »

2. Des êtres « vrais » : des êtres instables et déconcertants

Les personnages de Stendhal peuvent déconcerter par leurs propres contradictions, leurs errements. De fait, Julien ne se résume pas à n’être qu’un hypocrite arriviste se servant des femmes. En outre, ce sont des êtres qui se cherchent, qui cherchent une vérité au cours de l’intrigue. Ainsi parfois, le lecteur peut être troublé par le fait que les intentions des personnages lui soient inconnues. Le style stendhalien oscille en effet avec brio entre les points de vue des personnages donnés sans œillères, puis des zones d’ombre sur ce qui se joue en eux. Dès lors, ces personnages « peints avec vérité » sont une manière de représenter la complexité de la nature humaine, et c’est sans doute ce qui peut les rendre séduisants ou attachants.

3. Julien, criminel sublime

Enfin, notons que les personnages principaux stendhaliens ne sont pas complètement réalistes dans la mesure où gît en eux un goût pour l’extrémisme voire la folie. La fin du roman paraît importante : Julien devient criminel, il est donc a priori détestable. Et pourtant c’est par ce crime qu’il va accéder à une forme de sublime qui le hisse au-dessus de la médiocrité. On trouve là le point central et mystérieux du personnage : les personnages ne sont jamais complètement peints avec vérité, ne sont jamais complètement peu aimables.

Servez-vous de vos lectures analytiques comme des exemples précis et détaillés, mais retenez aussi des exemples plus personnels que vous avez particulièrement appréciés. Ils rendront votre copie plus intéressante car différente des autres.


Etant donné le parcours de lecture « le personnage de roman, esthétiques et valeurs», vous devez maîtriser les enjeux littéraires liés au roman de formation, aux esthétiques du roman (entre réalisme et romantisme), aux notions de héros et d’antihéros (liées aux valeurs qu’ils véhiculent), et au lien entre la fiction et l’Histoire (le personnage sert à décrire un monde qui renvoie à un contexte historique et social particulier).


Connaissez la structure du roman :

Première partie : analyse sociologique du milieu provincial et ses mesquineries.

Question 5

Rédiger la conclusion.

On pourra rappeler ici que l’épigraphe du roman est une phrase de Danton : « la Vérité, l’âpre Vérité ». Stendhal avertit donc le lecteur : le roman, comme « miroir », peut donc refléter la « fange » et le « bourbier » du réel. On comprend donc que les personnages soient peu aimables, dans cette société âprement critiquée par le chroniqueur. Mais si peindre avec vérité, c’est aussi sonder l’âme humaine, alors les personnages principaux échappent à la médiocrité de l’ensemble, grâce à leur complexité et à leurs mystères. Ils sont fascinants, et on peut donc les aimer, malgré leurs vices et défauts.

En ouverture : vous pourrez retenir les figures d’autres antihéros que vous connaissez, ouvrir sur d’autres romanciers du réel (Balzac, Zola, Maupassant), ou vous appuyer sur une de vos lectures analytiques en textes complémentaires.