L'énoncé
Sujet de dissertation :
« La mort d’Antinoüs n’est un problème et une catastrophe que pour moi seul. »
Cette affirmation d’Hadrien entre-t-elle en accord avec votre lecture du roman ? Vous vous appuierez sur votre connaissance de l’œuvre, sur les autres textes et documents étudiés en classe, ainsi que sur votre culture personnelle.
Question 1
Analyser le sujet en en définissant les termes.
- « un problème » : un mystère à résoudre mais qui potentiellement est insoluble (comme on suit les pensées d’Hadrien, on ne saura jamais véritablement ce qui s’est passé pour Antinoüs) ; une source de souffrance affective et psychologique.
- « une catastrophe » : événement brutal qui bouleverse le cours des choses. Il y a un avant et un après. Proche de l’idée de « tragique » au sens courant du terme, lié à la mort ou à la destruction.
- « n’est … que pour moi seul » : redondance de l’expression de l’isolement de Hadrien avec la négation exceptive (ne que) et l’adjectif « seul ».
Paradoxe du sujet : « pour moi seul » alors que Hadrien a un destinataire précis (Marc-Aurèle) et que sa lettre se donne donc d’emblée à destination d’un lecteur. Même si au début du roman Hadrien dit que sa lettre se transforme en bilan de vie, et qu’il écrit finalement pour lui-même, il n’en reste pas moins qu’elle est donnée à quelqu’un.
Aussi faut-il prendre en compte le lecteur : la mort d’Antinoüs peut-il être un problème et une catastrophe pour lui ?
Un sujet de dissertation comporte souvent un problème, un paradoxe. C’est là qu’on va trouver le moyen de le reformuler en problématique.
Il faut partir d’une définition des termes du sujets pour bien cerner ses contours, ses enjeux, et éviter le hors sujet.
Question 2
Définir la problématique.
Le récit de la vie d’un homme, avec les événements qui ne concernent que l’individu, n’a-t-elle pas forcément une portée universelle ?
Question 3
Rédiger une introduction.
Deux thèmes fournissent le sujet de nombreux romans de la littérature : la mort et l’amour. Yourcenar s’empare des deux dans son roman Mémoires d’Hadrien paru en 1951, lorsqu’elle fait du suicide d’Antinoüs un point de basculement dans la trajectoire de l’empereur. Cette histoire d’amour entre ces deux personnages fait partie de la culture commune occidentale : on peut admirer encore aujourd’hui les statues à l’effigie du jeune homme dans de nombreux musées. Pour autant, écrivant l’histoire intime d’Hadrien, Yourcenar fait dire à son personnage : « La mort d’Antinoüs n’est un problème et une catastrophe que pour moi seul. » Il faut donc relever un paradoxe dans ce choix du format romanesque : l’événement ne concerne certes que l’individu Hadrien, mais pour autant le roman se donne dès le début un destinataire, Marc-Aurèle. De là, notons que le lecteur aussi en est un. Ainsi, faut-il s’interroger sur cette affirmation du personnage en deuil, et se poser la question suivante : le récit de la vie d’un homme, avec les événements qui ne concernent que l’individu, n’a-t-elle pas forcément une portée universelle ? Nous verrons alors comment la mort d’Antinoüs est bien un moment fondamental dans la vie intime d’Hadrien. Mais nous élargirons ensuite le propos en évoquant la portée politique et sacrée de cette mort au sein de l’empire : il ne faut pas oublier que ces mémoires, c’est aussi le bilan d’un règne. Alors, il faudra poursuivre l’élargissement du propos en s’intéressant à la portée universelle du roman : ce deuil amoureux, comment parle-t-il aux hommes qui en lisent l’histoire ?
Rappel des 4 étapes :
- l’amorce (facultative mais bienvenue)
- la présentation du sujet en lien avec l’œuvre et le parcours au programme
- la problématique
- l’annonce du plan
Essayez d’éviter les formules « d’abord, ensuite, enfin » quand vous annoncez votre plan.
Inutile de résumer le roman : choisissez des éléments saillants.
Question 4
Proposer un plan détaillé.
I. La mort d’Antinoüs : Un moment fondateur dans la vie intime du personnage
1. Le récit d’une expérience terrible dans la vie de l’individu Hadrien
Rappelons que le roman s’intéresse à un personnage particulier : un empereur. Ses mémoires ne cessent donc d’osciller entre sa personne intime (ce qui fait de lui un être humain unique mais ordinaire) et sa personne politique (ce qui fait de lui un être humain hors du commun).
La mort d’Antinoüs, dans la citation du sujet, rappelle la dimension intime de ce roman. Il faut prendre en compte les pages liées à l’expression de la douleur d’un homme qui a perdu celui qui fut le centre amoureux de sa vie.
Ex : le récit de la mort d’Antinoüs p. 216 de l’édition Folio, dans « Saeculum aureum ». Retenons en particulier : « Tout croulait, tout parut s’éteindre. Le Zeus Olympien, le Maître de Tout, le Sauveur du Monde s’effondrèrent, et il n’y eut plus qu’un homme à cheveux gris sanglotant sur le pont d’une barque ».
2. La propension à tout ramener à soi : le bilan de la vie d’un individu
La phrase d’Hadrien qui sert de sujet à la dissertation rappelle son objectif dans ce récit : tout reconsidérer pour faire le bilan de SA vie.
Ainsi, il insiste sur sa responsabilité : Antinoüs s’est suicidé, mais Hadrien dit qu’Antinoüs est mort à cause de lui. En illustration du propos, voir les pages sur la mort du personnage. On relèvera en particulier : « mes remords sont même devenus peu à peu une forme amère de possession, une manière de m’assurer que j’ai été jusqu’au bout le triste maître de son destin. »
3. L’événement de la mort d’Antinoüs : structurant dans le roman de la vie d’Hadrien
Cf le début du roman et le passage sur l’amour VS Antinoüs. La mort d’Antinoüs est le moyen de peindre la trajectoire de la vie d’Hadrien. Elle donne sens à la construction du roman et apparaît comme un élément clé de la vie d’Hadrien. Il y a une forme de rédemption du récit premier, des années de formation de l’empereur.
Ex : voir les premières pages sur l’amour dans « Anima vagula blandula » qui semblent être une anticipation de l’amour unique à venir pour Antinoüs.
Bilan de la partie : comme Hadrien l’avait annoncé en début de roman, ses Mémoires sont les confidences d’un vieil homme qui fait le bilan de ce que fut sa vie. Mais il faut aussi prendre en compte la portée politique de cet événement.
II. Un moment sacré : la mort d’Antinoüs dans l’Empire
1. Imposer le visage dans l’empire pour représenter la mort
A la disparition d’Antinoüs répond une propagation des images de celui qui fut aimé par l’empereur. Les statues, effigies, portraits du jeune homme ont inondé l’empire, de sorte qu’Hadrien fait bien passer cet expérience de l’intime au public.
Ex : « Tellus stabilita », p. 146 de l’édition Folio. La mort d’Antinoüs n’a pas encore eu lieu, mais Hadrien l’anticipe dans le récit. L’art devient alors pour lui le moyen de retrouver celui qui est mort, mais aussi une image sacrée de la mort. Relevons par ex : « je comptais désespérément sur l’éternité de la pierre, la fidélité du bronze, pour perpétuer un corps périssable. »
Précision : nous donnons ici quelques citations pour bien faire comprendre l’idée. Inutile de votre côté de vous assommer de phrases à apprendre par cœur, sauf si vous en avez envie. Choisissez pourquoi pas une ou deux citations que vous trouvez belles et utiles, tirées de vos lectures analytiques par exemple.
2. La mort d’Antinoüs est liée à la divinisation des personnages
Antinoüs se sacrifie pour Hadrien qui est déifié à peu près à ce moment-là du récit. Et Antinoüs devient dieu une fois qu’il est mort, par l’entreprise de l’empereur. On voit bien que la mort du personnage sert donc de point focal dans une trajectoire qui excède l’individu : comme la religion est liée à la vie de la cité, il y a bien un enjeu politique dans cette « catastrophe » qui certes n’est vécue comme telle que par Hadrien. Antinoüs devient l’incarnation du symbole de la mort, qui concerne bien tous les hommes.
Ex : les pages de la mort comme sacrifice, ou la construction de temples pour Antinoüs ou p. 308 : « je me disais amèrement que ce souvenir sombrerait avec moi ; ce jeune être soigneusement embaumé au fond de ma mémoire semblait ainsi devoir périr une seconde fois. Cette crainte pourtant si juste s’est calmée en partie ; une image, un reflet, un faible écho surnagera au moins pendant quelques siècles. On ne fait guère mieux en matière d’immortalité. »
3. L’après-Antinoüs : l’assise du pouvoir
On l’a vu, la mort d’Antinoüs est un événement dans la vie d’Hadrien, mais par conséquent, aussi dans sa trajectoire d’empereur. La partie qui suit la mort du personnage est « Disciplina augusta » : on en arrive à une forme de maturité de l’empereur. Aussi la mort d’Antinoüs peut être un problème pour Hadrien seul, mais elle aura un effet sur son empire.
Ex : p. 307 de l’édition Folio, dans « Patienta », moment de bilan, Hadrien raconte comment le deuil d’Antinoüs qu’il a imposé à l’empire a pris racine dans la culture. Ainsi : « le culte d’Antinoüs semblait la plus folle de mes entreprises, le débordement d’une douleur qui ne concernait que moi seul. Mais notre époque est avide des dieux […]. A Delphes, l’enfant est devenu l’Hermès gardien du seuil, maître des passages obscurs qui mènent chez les ombres. »
Bilan de la partie : tout, dans le roman, renvoie à cette double échelle, de l’individu et de l’empereur. Yourcenar a bien dit : « Si cet homme n’avait pas maintenu la paix du monde et rénové l’économie de l’empire, ses bonheurs et ses malheurs personnels m’intéresseraient moins. », preuve de l’importance de la mort d’Antinoüs dans l’itinéraire de l’empereur. Mais il faut aller plus loin, et considérer la portée universelle de ce deuil.
III. Le roman d’amour et l’identification
1. Un roman d’amour pour le lecteur
La mort de l’être aimé est une histoire à haut potentiel identificatoire. Aussi, le destinataire, c’est d’abord Marc-Aurèle, et l’événement de la mort permet à Hadrien d’éduquer le jeune héritier aux questions du deuil. Mais le destinataire est aussi le lecteur de Yourcenar. Les Mémoires d’Hadrien se range dans le genre des grands romans d’amour : la mort d’Antinoüs peut créer des émotions chez le lecteur.
En exemple, prenez une page que vous avez aimée, sur cette histoire d’amour, ou dans un autre livre. Nous vous invitons par exemple à découvrir Albertine disparue de Proust, roman sur la perte de l’être cher. Vous pouvez vous servir d’un film aussi, d’une série.
2. Soi comme un autre : la mort d’Antinoüs pour Yourcenar
Yourcenar doit penser comme Hadrien pour raconter sa vie. Elle a dû s’imaginer la vie et les pensées de cet homme, « refaire du dedans ce que les archéologues du XIXe ont fait du dehors » (carnet de notes).
3. Antinous et Pétrocle. Un livre humaniste sur la transmission et la culture
Ainsi, cette histoire entre deux individus prend bien une valeur universelle. On remarquera dans le roman les fréquentes analogies du couple Hadrien/Antinoüs au couple Achille/Patrocle. La mise en abyme est une manière d’inviter à lire cette histoire dans son universalité.
Ex : p. 194 : « saeculum aureum : Antinous se recueille sur la tombe de Pétrocle. « je tournai en dérision ces fidélités passionnées qui fleurissent surtout dans les livres ; le bel être insulté rougit jusqu’au sang ». Cette page, mise en abyme, permet d’insister sur l’importance d’une culture humaniste transmettant valeurs et émotions. Il sera de nouveau question d’Achille et Patrocle p. 296 au tout début de « Patienta ».
Le plus souvent, la première partie va dans le sens du sujet et montre en quoi il se tient.
Conseil : bien connaître les titres des parties du roman et sa structure. Connaître également les pages sur la mort d’Antinoüs, car elles peuvent servir dans beaucoup de sujets sur l’œuvre étant donné l’importance de l’événement dans le roman.
Question 5
Rédiger une conclusion.
Les nombreuses effigies d’Antinoüs dans l’empire sont un rappel que l’art est la tentative et le moyen de capter ce qui fait l’essence de la vie de l’homme, et donc de la vie d’un homme. Les échos mythiques innombrables à l’amour d’Hadrien pour Antinoüs en sont une autre forme de représentation : le rendre mythique, c’est lui donner la possibilité de transcender les siècles. La mort d’Antinoüs fait sombrer Hadrien seul, mais cette histoire de terrible chagrin devient moment historique dans l’Empire, et expérience de lecture à portée universelle.
En ouverture : songeons à d’autres formes d’expression du deuil dans la littérature, comme le trait de points représentant le silence dans le poème daté de la mort de Léopoldine, dans « Pauca Meae » de Victor Hugo.