L'énoncé
Prendre connaissance du texte et répondre aux questions suivantes qui permettent de préparer la question de grammaire pour l'oral du bac de français.
Michel de Montaigne, Essais, I, 31 « Des cannibales » (français modernisé), 1580
C'est une chose stupéfiante que la fermeté de leurs combats, qui ne finissent jamais que par meurtre et effusion de sang ; car la déroute et l'effroi, ils ne savent que c'est. Chacun rapporte pour son trophée la tête de l'ennemi qu'il a tué, et l'attache à l'entrée de son logis. Après avoir longtemps bien traité leurs prisonniers, et selon toutes les commodités possibles, celui qui en est le maître, fait une grande assemblée de ses connaissances ; il attache une corde à l'un des bras du prisonnier, par le bout de laquelle il le tient éloigné de quelques pas, de peur d'en être blessée, et donne au plus cher de ses amis l'autre bras à tenir de même ; et eux deux, en présence de toute l'assemblée, l'assomment à coups d'épée. Cela fait, ils le rôtissent et en mangent en commun et en envoient des lopins à ceux de leurs amis qui sont absents.
(…) Je ne suis pas marri que nous remarquions l'horreur barbare qu'il y a en une telle action, mais certes bien de quoi, jugeant bien de leurs fautes, nous soyons si aveugles aux nôtres. Je pense qu'il y a plus de barbarie à manger un homme vivant qu'à le manger mort, à déchirer par tourments et par tortures un corps encore plein de sentiment, le faire rôtir par le menu, le faire mordre et meurtrir aux chiens et aux pourceaux (comme nous l'avons non seulement lu, mais vu de fraîche mémoire, non entre des ennemis anciens, mais entre des voisins et concitoyens, et, qui pis est, sous prétexte de piété et de religion), que de le rôtir et manger après qu'il est trépassé. (...) Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie.
Question 1
Faire l’analyse logique de la phrase : « Ce n'est pas, comme on pense, pour s'en nourrir, ainsi que faisaient anciennement les Scythes ; c'est pour représenter une extrême vengeance. »
Explication de la règle
Faire l’analyse logique d’une phrase signifie tout simplement dire si la phrase est simple ou complexe, combien de propositions s’y trouvent, où elles commencent et où elles finissent, et de quel type sont les propositions identifiées.
Corrigé
Cette phrase est une phrase complexe. Elle comporte deux propositions juxtaposées.
La première proposition juxtaposée va de « Ce n’est pas » jusqu’à « Scythes ». Le verbe conjugué de cette proposition est « est », verbe « être » à la troisième personne du singulier et au présent de l’indicatif, dans le présentatif « C’est », ici niée par les outils de négation totale « ne…pas ».
La deuxième proposition juxtaposée va de « C’est pour » jusqu’à « vengeance ». Le verbe conjugué de cette deuxième proposition est aussi « est », là encore dans le présentatif « c’est ».
La juxtaposition est opérée par un point-virgule.
Dans la première proposition juxtaposée, on trouve deux propositions subordonnées.
La première est « comme on pense » et la deuxième est « ainsi que faisaient anciennement les Scythes ». Les outils de subordinations sont l’adverbe « comme » d’une part et la locution adverbiale « ainsi que » d’autre part. Les verbes conjugués de ces propositions sont « pense » d’une part et « faisaient » d’autre part.
Il s’agit d’une phrase difficile à analyser malgré son apparente facilité.
Pour trouver le début et la fin de chaque proposition, on commence par trouver le verbe conjugué autour duquel elle est construite. On identifie ensuite son sujet et ses compléments (d’objet, circonstanciel). On regarde enfin si on peut supprimer de la phrase les mots qu’on a repérés comme formant une seule proposition subordonnée. Si on peut bien les supprimer sans que la phrase restante semble bizarre, c’est qu’ils font tous partie de la même proposition !
Question 2
Comment le présent est-il utilisé dans la phrase suivante ?
« Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie »
Explication de la règle
Le présent de l’indicatif peut avoir plusieurs valeurs différentes. Il peut avoir une valeur temporelle et indiquer le moment présent, le moment où l’on parle. Mais il peut aussi avoir une valeur logique et indiquer une vérité générale ; il est alors employé dans des textes argumentatifs, dans des proverbes, dans des sentences. Enfin, il peut désigner une durée plus longue et porter sur une intention de celui qui parle ; c’est alors un présent à valeur de futur proche (exemple : j’arrive).
Corrigé
Nous relevons deux occurrences du présent de l’indicatif dans cette phrase, « pouvons » du verbe « pouvoir » conjugué à la première personne du pluriel et « surpassons » du verbe « surpasser » conjugué lui aussi à la première personne du pluriel.
Le premier présent a une valeur temporelle : il correspond au moment où Montaigne écrit ; celui-ci emploie « nous » pour se désigner lui et les autres Européens.
Le deuxième présent a une valeur logique : selon Montaigne, les Européens surpassent les Indiens en toute sorte de barbarie de tout temps, pas seulement au moment où il écrit. Il livre ici la conclusion de son raisonnement, qu’il pense toujours valable.
Pour enrichir votre réponse à ce type de question, n’hésitez pas à faire des remarques sur les personnes utilisées pour conjuguer les verbes et à être le plus précis possible dans l’identification du temps et des modes employés.
Question 3
Etudier la négation dans « Je ne suis pas marri que nous remarquions l’horreur barbare qu’il y a en une telle action, mais certes bien de quoi, jugeant bien de leurs fautes, nous soyons si aveugles aux nôtres. »
Explication de la règle
La négation totale porte sur l’ensemble de la phrase ; on l’exprime avec les termes « ne… pas », « ne….. plus », « ne… jamais ». La négation partielle porte sur un élément seulement de la phrase ; on l’exprime avec les termes « ne… pas…. mais » mais peut aussi être exprimée par « ne… pas » ; tout dépend du sens de la phrase.
La négation exceptive est celle qui restreint l’affirmation à un seul élément ; on l’exprime par les termes « ne… que ».
Corrigé
Dans cette phrase, la négation est exprimée par les mots négatifs « ne …. pas…. mais bien… », ce qui correspond à la négation exceptive.
Montaigne commence par nier un élément de la phrase ; cet élément est exprimé par la proposition subordonnée complétive « que nous remarquions l’horreur barbare » qui est attribut de l’objet.
Montaigne exclut ensuite de sa négation un autre élément ; cet autre élément est exprimé par la proposition subordonnée complétive « de quoi, jugeant bien de leurs fautes, nous soyons si aveugles aux nôtres » qui est aussi attribut de l’objet.
Il s’agit donc d’une négation exceptive qui exclut un élément du mouvement de la négation.
Pour enrichir votre réponse à une question sur la négation, vous pouvez indiquer quels sont les éléments de la phrase qui sont niés, les caractériser (est-ce que ce sont des groupes nominaux, des groupes prépositionnels, des pronoms, des propositions, etc. ?) et donner leur fonction (sont-ils complément d’objet du verbe ou ont-ils une autre fonction ?).