Les objets, et plus largement les accessoires, les costumes et le décor, n'ont-ils qu'un rôle secondaire au théâtre ?
Vous appuierez votre réflexion sur les textes du corpus, sur ceux que vous avez étudiés et sur vos lectures personnelles.
TEXTE A : MOLIÈRE, Le Malade imaginaire, acte I, scène 6, extrait (1673)
Argan souhaite marier sa fille au fils d'un médecin, nommé Thomas Diafoirus, tandis que sa femme Béline la destine au couvent. Toinette, la servante de la famille, a pris le parti de la jeune fille.
[...]
BÉLINE : Pourquoi donc est-ce que vous mettez mon mari en colère ?
TOINETTE, d'un ton doucereux : Moi, Madame, hélas ! Je ne sais pas ce que vous me voulez dire, et je ne songe qu'à complaire1 à Monsieur en toutes choses.
ARGAN : Ah ! la traîtresse !
TOINETTE : Il nous a dit qu'il voulait donner sa fille en mariage au fils de Monsieur Diafoirus ; je lui ai répondu que je trouvais le parti avantageux pour elle ; mais que je croyais qu'il ferait mieux de la mettre dans un convent2.
BÉLINE : Il n'y a pas grand mal à cela, et je trouve qu'elle a raison.
ARGAN : Ah ! mamour, vous la croyez. C'est une scélérate : elle m'a dit cent insolences.
BÉLINE : Hé bien ! je vous crois, mon ami. Là, remettez-vous. Écoutez Toinette, si vous fâchez jamais mon mari, je vous mettrai dehors. Çà, donnez-moi son manteau fourré et des oreillers, que je l'accommode dans sa chaise. Vous voilà je ne sais comment. Enfoncez bien votre bonnet jusque sur vos oreilles : il n'y a rien qui enrhume tant que de prendre l'air par les oreilles.
ARGAN : Ah ! mamie, que je vous suis obligé de tous les soins que vous prenez de moi !
BÉLINE, accommodant les oreillers qu'elle met autour d'Argan : Levez-vous, que je mette ceci sous vous. Mettons celui-ci pour vous appuyer, et celui-là de l'autre côté. Mettons celui-ci derrière votre dos, et cet autre-là pour soutenir votre tête.
TOINETTE, lui mettant rudement un oreiller sur la tête, et puis fuyant : Et celui-ci pour vous garder du serein3.
ARGAN se lève en colère, et jette tous les oreillers à Toinette : Ah ! coquine, tu veux m'étouffer.
BÉLINE : Eh là, eh là ! Qu'est-ce que c'est donc ?
ARGAN, tout essoufflé, se jette dans sa chaise : Ah ! ah ! ah ! je n'en puis plus.
BÉLINE : Pourquoi vous emporter ainsi ? Elle a cru faire bien.
ARGAN : Vous ne connaissez pas, mamour, la malice de la pendarde. Ah ! elle m'a mis tout hors de moi ; et il faudra plus de huit médecines, et de douze lavements, pour réparer tout ceci.
BÉLINE : Là, là, mon petit ami, apaisez-vous un peu. [...]
1 Complaire : plaire.
2 Convent : couvent
3 Serein : humidité de l'air. 17FRLIMLR3
TEXTE B : BEAUMARCHAIS, Le Mariage de Figaro, acte I, scène 7, extrait (1778)
Chérubin, le jeune page, vient d'être renvoyé du château par le Comte Almaviva. Amoureux de la Comtesse, il annonce cette nouvelle à Suzanne, la femme de chambre et confidente de la Comtesse, qui tient justement le ruban de nuit de cette dernière.
CHÉRUBIN : [...] Qu’est-ce que tu tiens donc là ?
SUZANNE, raillant : Hélas ! l’heureux bonnet et le fortuné ruban qui renferment la nuit les cheveux de cette belle marraine...
CHÉRUBIN, vivement : Son ruban de nuit ! donne-le-moi, mon cœur.
SUZANNE, le retirant : Eh ! que non pas ; « son cœur ! » Comme il est familier donc ! si ce n’était pas un morveux sans conséquence...(Chérubin arrache le ruban.) Ah ! le ruban !
CHÉRUBIN tourne autour du grand fauteuil : Tu diras qu’il est égaré, gâté ; qu’il est perdu. Tu diras tout ce que tu voudras.
SUZANNE tourne après lui : Oh ! dans trois ou quatre ans, je prédis que vous serez le plus grand petit vaurien !... Rendez-vous le ruban ?
Elle veut le reprendre.
CHÉRUBIN tire une romance1 de sa poche : Laisse, ah, laisse-le-moi, Suzon ; je te donnerai ma romance, et pendant que le souvenir de ta belle maîtresse attristera tous mes moments, le tien y versera le seul rayon de joie qui puisse encore amuser mon cœur.
SUZANNE arrache la romance : Amuser votre cœur, petit scélérat ! vous croyez parler à votre Fanchette2 ; on vous surprend chez elle ; et vous soupirez pour Madame ; et vous m’en contez à moi, par-dessus le marché !
CHÉRUBIN, exalté : Cela est vrai, d’honneur ! je ne sais plus ce que je suis ; mais depuis quelque temps je sens ma poitrine agitée ; mon cœur palpite au seul aspect d’une femme ; les mots amour et volupté le font tressaillir et le troublent. Enfin le besoin de dire à quelqu’un je vous aime est devenu pour moi si pressant que je le dis tout seul, en courant dans le parc, à ta maîtresse, à toi, aux arbres, aux nuages, au vent qui les emporte avec mes paroles perdues. Hier je rencontrai Marceline3...
SUZANNE, riant : Ah, ah, ah, ah !
CHÉRUBIN : Pourquoi non ? elle est femme ! elle est fille ! une fille, une femme ! ah que ces noms sont doux ! qu’ils sont intéressants !
SUZANNE : Il devient fou !
CHÉRUBIN : Fanchette est douce ; elle m’écoute au moins ; tu ne l’es pas, toi !
SUZANNE : C’est bien dommage ; écoutez donc Monsieur !
Elle veut arracher le ruban.
CHÉRUBIN tourne en fuyant : Ah ! ouiche ! on ne l’aura, vois-tu, qu’avec ma vie. Mais, si tu n’es pas contente du prix, j’y joindrai mille baisers.
Il lui donne chasse à son tour.
SUZANNE tourne en fuyant : Mille soufflets4, si vous approchez. Je vais m’en plaindre à ma maîtresse ; et loin de supplier pour vous, je dirai moi-même à Monseigneur : C’est bien fait, Monseigneur ; chassez-nous ce petit voleur ; renvoyez à ses parents un petit mauvais sujet qui se donne les airs d’aimer Madame, et qui veut toujours m’embrasser par contre-coup. [...]
1 Romance : petit poème en vers pouvant traiter de sujets amoureux.
2 Fanchette : cousine de Suzanne et fille d’Antonio, jardinier du château.
3 Marceline : gouvernante de la Comtesse.
4 Soufflets : gifles.
TEXTE C : FEYDEAU, Un fil à la patte, acte I, scène 4, extrait (1894)
Fernand de Bois d'Enghien se rend chez sa maîtresse Lucette, une chanteuse de café-concert, dans la ferme intention de rompre, avant qu'elle n'apprenne son projet de mariage avec une autre femme, qui est annoncé dans le journal.
[...]
BOIS-D’ENGHIEN, qui pendant ce qui précède parcourt le Figaro qu’il a près de lui sur la table, bondissant tout à coup et à part. - Sapristi ! mon mariage qui est annoncé dans le Figaro ! (Il froisse le journal, le met en boule et le fourre contre sa poitrine par l’entre- bâillement de son peignoir.)
LUCETTE, qui a vu le jeu de scène ainsi que tout le monde, courant à lui : Eh bien ! qu’est- ce qui te prend ?
BOIS-D’ENGHIEN : Rien ! rien ! c’est nerveux !
LUCETTE : Mon pauvre Fernand, tu ne vas pas encore être malade !
BOIS-D’ENGHIEN : Non ! non ! (À part, pendant que Lucette rassurée retourne à la place qu’elle vient de quitter et raconte à mi-voix à Nini1 que Bois-d’Enghien a été malade.) Merci ! lui flanquer comme ça mon mariage dans l’estomac, sans l’avoir préparée.
DE CHENNEVIETTE2 : Ah ! à propos de journal, tu as vu l’aimable article que l’on a fait sur toi dans le Figaro de ce matin.
LUCETTE : Non.
DE CHENNEVIETTE : Oh ! excellent ! Justement j’ai pensé à te l’apporter ! (Il tire de sa poche un Figaro, qu’il déploie tout grand.)
BOIS-D’ENGHIEN, anxieux : Hein !
DE CHENNEVIETTE : Tiens, si tu veux le lire.
BOIS-D’ENGHIEN, se précipitant sur le journal et l’arrachant des mains de Chenneviette : Non, pas maintenant, pas maintenant ! (Il fait subir au journal le même sort qu’au premier.)
TOUS : Comment ?
BOIS-D’ENGHIEN : Non, on va déjeuner ; maintenant, ce n’est pas le moment de lire les journaux.
DE CHENNEVIETTE : Mais qu’est-ce qu’il a ?
1 Nini : Nini est une cocotte, c’est-à-dire une femme de mœurs légères et richement entrenue.
2 De Chenneviette : père de l’enfant de Lucette.
TEXTE D : REZA, Art, scène première, extrait (1994)
PERSONNAGES
Marc
Serge
Yvan
Le salon d'un appartement.
Un seul décor. Le plus dépouillé, le plus neutre possible.
Les scènes se déroulent successivement chez Serge, Yvan et Marc.
Rien ne change, sauf l’œuvre de peinture exposée.
Marc, seul.
MARC : Mon ami Serge a acheté un tableau.
C'est une toile d'environ un mètre soixante sur un mètre vingt, peinte en blanc. Le fond est blanc et si on cligne des yeux, on peut apercevoir de fins liserés blancs transversaux.
Mon ami Serge est un ami depuis longtemps.
C'est un garçon qui a bien réussi, il est médecin dermatologue et il aime l'art.
Lundi, je suis allé voir le tableau que Serge avait acquis samedi mais qu'il convoitait depuis plusieurs mois.
Un tableau blanc, avec des liserés blancs.
Chez Serge.
Posée à même le sol, une toile blanche, avec de fins liserés blancs transversaux.
Serge regarde, réjoui, son tableau.
Marc regarde le tableau.
Serge regarde Marc qui regarde le tableau.
Un long temps où tous les sentiments se traduisent sans mot.
MARC : Cher ?
SERGE : Deux cent mille.
MARC : Deux cent mille ?...
SERGE : Handtington me le reprend à vingt-deux.
MARC : Qui est-ce ?
SERGE : Handtington ? !
MARC : Connais pas.
SERGE : Handtington ! La galerie Handtington !
MARC : La galerie Handtington te le reprend à vingt-deux ?...
SERGE : Non, pas la galerie. Lui. Handtington lui-même. Pour lui.
MARC : Et pourquoi ce n'est pas Handtington qui l'a acheté ?
SERGE : Parce que tous ces gens ont intérêt à vendre à des particuliers. Il faut que le marché circule.
MARC : Ouais...
SERGE : Alors ?
MARC : ...
SERGE : Tu n'es pas bien là. Regarde-le d'ici. Tu aperçois les lignes ?
MARC : Comment s'appelle le...
SERGE : Peintre. Antrios.
MARC : Connu ?
SERGE : Très. Très !
Un temps.
MARC : Serge, tu n'as pas acheté ce tableau deux cent mille francs ?
SERGE : Mais mon vieux, c'est le prix. C'est un ANTRIOS !
MARC : Tu n'as pas acheté ce tableau deux cent mille francs !
[...]