Cours L'utopie et la dystopie

Exercice - Utopie ou dystopie ?

L'énoncé

Document 1 : Gargantua, Rabelais, 1534

Toute leur vie était organisée non par des lois, des statuts ou des règles, mais selon leur vouloir et franc arbitre. Ils se levaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur venait ; nul ne les éveillait, nul ne les forçait ni à boire ni à manger, ni à faire autre chose. Ainsi l'avait établi Gargantua. En leur règle n'était que cette clause : 

"Fais ce que voudras",

parce que les gens libres, bien nés, bien instruits, conversant en compagnie honnête, ont par nature un instinct et un aiguillon, qui toujours les pousse à accomplir des faits vertueux et les éloigne du vice, aiguillon qu'ils nommaient honneur. Quand une vile servitude ou une contrainte les font déchoir et les assujettissent, ils emploient cette noble inclination, par laquelle ils tendaient librement vers la vertu, à repousser et à enfreindre ce joug de la servitude : car nous entreprenons toujours les choses défendues, et convoitons ce qui nous est refusé.
Grâce à cette liberté, ils entrèrent en louable émulation de faire tous ensemble ce qu'ils voyaient plaire à un seul. Si l'un ou l'une d'entre eux disait : « Buvons », tous buvaient ; s'il disait : « Jouons », tous jouaient. S'il disait : « Allons nous ébattre aux champs», tous y allaient.

 

Document 2 : W ou le souvenir d'enfance, Georges Perec, 1975

Celui qui commence à se familiariser avec la vie W, un novice par exemple qui, venant des Maisons de Jeunes, arrive vers quatorze ans dans un des quatre villages, comprendra assez vite que l’une des caractéristiques, et peut-être la principale, du monde qui est désormais le sien est que la rigueur des institutions n’y a d’égale que l’ampleur des transgressions dont elles sont l’objet. Cette découverte, qui constituera pour le néophyte un des éléments déterminants de sa sauvegarde personnelle, se vérifiera constamment, à tous les niveaux, à tous les instants. La Loi est implacable, mais la Loi est imprévisible. Nul n’est censé l’ignorer, mais nul ne peut la connaître. Entre ceux qui la subissent et ceux qui l’édictent se dresse une barrière infranchissable. L’Athlète doit savoir que rien n’est sûr ; il doit s’attendre à tout, au meilleur et au pire ; les décisions qui le concernent, qu’elles soient futiles ou vitales, sont prises en dehors de lui ; il n’a aucun contrôle sur elles. Il peut croire que, sportif, sa fonction est de gagner, car c’est la Victoire que l’on fête et c’est la défaite que l’on punit ; mais il peut arriver dernier et être proclamé Vainqueur : ce jour-là, à l’occasion de cette course-là, quelqu’un, quelque part, aura décidé que l’on courrait à qui perd gagne.


Question 1

Pour chacun des deux textes, dire s'il s'agit d'une utopie ou d'une dystopie. Justifier.

Le document 1, extrait de Gargantua est une utopie car c'est une société "idéale" qui est décrite, en effet les gens sont libres de faire ce qu'ils veulent comme le montre la seule clause en place "Fais ce que voudras" et tous sont honnêtes : "ils tendaient librement vers la vertu".

Le document 2, extrait de W ou le souvenir d'enfance est une dystopie car une Loi obscure régit la société "La Loi est implacable, mais la Loi est imprévisible. Nul n’est censé l’ignorer, mais nul ne peut la connaître". Ainsi, il s'agit d'une société où "rien n’est sûr", c'est-à-dire qu'on ne sait pas quelle posture adopter pour respecter la loi, ce qui implique un sentiment d'insécurité.

Question 2

Quelle différence peut-on faire avec la loi entre le document 1 et le document 2 ?

Dans W ou le souvenir d'enfance, on nous dit que "La Loi est implacable, mais la Loi est imprévisible." "Loi" est écrit avec une majuscule, comme pour la personnaliser, pour en faire un personnage et lui donner de l'importance. On ajoute que "Nul n’est censé l’ignorer, mais nul ne peut la connaître." ce qui est paradoxal car on ne peut pas s'y plier si on ne peut pas la connaître. Ici une loi absurde régit toute la société comme le montre l'exemple de la course : "il peut arriver dernier et être proclamé Vainqueur : ce jour-là, à l’occasion de cette course-là, quelqu’un, quelque part, aura décidé que l’on courrait à qui perd gagne."

Dans Gargantua, au contraire, la loi n'existe pas : "Toute leur vie était organisée non par des lois, des statuts ou des règles, mais selon leur vouloir et franc arbitre."

Question 3

Dans Gargantua, quels champs lexicaux sont mis en opposition ? Relever les termes associés.

On relève principalement deux champs lexicaux opposés dans cet extrait : 

- Celui de la liberté : "leur vouloir", "franc arbitre", "bon leur semblait", "désir", "libres", "tendaient librement", "liberté", "plaire".

- Celui de la contrainte : "vile servitude", "contrainte", "assujettissent", "enfreindre", "joug de la servitude", "défendues", "refusé".

Celui de la liberté est mis en valeur positivement tandis que celui de la contrainte est mis en valeur négativement

Ce sont les champs lexicaux de la liberté et de la contrainte.

Question 4

Selon Gargantua, pourquoi "les gens libres, bien nés, bien instruits" sont davantage attirés par la vertu que par le vice ?

Selon Gargantua, "les gens libres, bien nés, bien instruits, conversant en compagnie honnête" sont davantage attirés par la vertu que par le vice car ils sont bons "par nature". Ils ont donc un instinct inné, naturel, qui les pousse du côté de la vertu et leur permet de ne pas tomber dans le vice, grâce à leur "aiguillon" identifié comme leur "honneur".

Il faut expliquer la phrase "ont par nature un instinct et un aiguillon, qui toujours les pousse à accomplir des faits vertueux et les éloigne du vice, aiguillon qu'ils nommaient honneur."

Question 5

"on courrait à qui perd gagne" (W ou le souvenir d'enfance)

Que peut-on dire de cette expression et de son utilisation dans cet extrait ?

Cette expression porte une figure de style appelée oxymore qui consiste à allier deux mots de sens contradictoires : "perd" et "gagne" sont antonymes. Elle est utilisée dans cet extrait pour renforcer le sentiment d'insécurité ou d'imprévisibilité, on ne sait pas à qui ou à quoi faire confiance. On peut aussi bien perdre ou gagner, la vie devient un jeux de hasard.

Cette expression présente une figure de style.


Un oxymore.

Question 6

Relever les autres termes de sens contradictoire de cet extrait.

Les autres termes de sens contradictoire sont : 

ignorer / connaître

subissent / édictent

meilleur / pire

futiles / vitales

victoire / défaite

fête / punit

dernier / vainqueur

Ces termes ne sont pas forcément collés, mais ce sont des antonymes.