L'énoncé
Le combat entre Tristan et le Morholt
Dans la légende arthurienne, le Morholt est un guerrier irlandais qui exige le tribut au roi Marc de Cornouailles jusqu'à ce qu'il soit tué par Tristan, chevalier de la Table ronde, le groupe des chevaliers du roi Arthur.
Au jour dit, Tristan se plaça sur une courtepointe(1) de cendal(2) vermeil(3), et se fit armer pour la haute aventure. Il revêtit le haubert(4) et le heaume(5) d’acier bruni. Les barons pleuraient de pitié sur le preux(6) et de honte sur eux-mêmes. « Ah ! Tristan, se disaient-ils, hardi baron, belle jeunesse, que n’ai-je, plutôt que toi, entrepris cette bataille ! Ma mort jetterait un moindre deuil sur cette terre !… » Les cloches sonnent, et tous, ceux de la baronnie et ceux de la gent menue(7), vieillards, enfants et femmes, pleurant et priant, escortent Tristan jusqu’au rivage. Ils espéraient encore, car l’espérance au cœur des hommes vit de chétive pâture(8).
Tristan monta seul dans une barque et cingla vers l’île Saint-Samson. Mais le Morholt avait tendu à son mât une voile de riche pourpre, et le premier il aborda dans l’île. Il attachait sa barque au rivage, quand Tristan, touchant terre à son tour, repoussa du pied la sienne vers la mer.
« Vassal, que fais-tu ? dit le Morholt, et pourquoi n’as-tu pas retenu comme moi ta barque par une amarre ?
— Vassal, à quoi bon ? répondit Tristan. L’un de nous deux reviendra seul vivant d’ici : une seule barque ne lui suffit-elle pas ? »
Et tous deux, s’excitant au combat par des paroles outrageuses, s’enfoncèrent dans l’île.
Nul ne vit l’âpre bataille, mais par trois fois, il sembla que la brise de mer portait au rivage un cri furieux. Alors, en signe de deuil, les femmes battaient leurs paumes en chœur, et les compagnons du Morholt, massés à l’écart devant leurs tentes, riaient. Enfin, vers l’heure de none(9), on vit au loin se tendre la voile de pourpre ; la barque de l’Irlandais se détacha de l’île, et une clameur de détresse retentit : « Le Morholt ! le Morholt ! » Mais, comme la barque grandissait, soudain, au sommet d’une vague, elle montra un chevalier qui se dressait à la proue ; chacun de ses poings tendait une épée brandie : c’était Tristan. Aussitôt vingt barques volèrent à sa rencontre, et les jeunes hommes se jetaient à la nage. Le preux s’élança sur la grève, et, tandis que les mères à genoux baisaient ses chausses de fer, il cria aux compagnons du Morholt :
« Seigneurs d’Irlande, le Morholt a bien combattu. Voyez : mon épée est ébréchée, un fragment de la lame est resté enfoncé dans son crâne. Emportez ce morceau d’acier, seigneurs : c’est le tribut de la Cornouailles ! »
Alors il monta vers Tintagel. Sur son passage, les enfants délivrés agitaient à grands cris des branches vertes et de riches courtines(10) se tendaient aux fenêtres. Mais, quand parmi les chants d’allégresse, aux bruits des cloches, des trompes et des buccines, si retentissants qu’on n’eût pas ouï Dieu tonner, Tristan parvint au château, il s’affaissa entre les bras du roi Marc : et le sang ruisselait de ses blessures.
Normand Béroul, Le roman de Tristan, vers 1170.
(1) Courtepointe : une couverture.
(2) Cendal : tissu de soie finement tissé.
(3) Vermeil : rouge.
(4) Haubert : robe en côte de maille.
(5) Heaume : casque.
(6) Preux : courageux.
(7) Gent menue : les femmes.
(8) Chêtive patûre : petite prairie où les animaux peuvent manger (métaphore).
(9) None : prière de l'après-midi, récitée vers 3 heures.
(10) Courtine : rideau
Question 1
Trouvez trois indices qui montrent qu'il s'agit d'un roman de chevalerie.
1. Il y a un chevalier, Tristan.
2. Tristan a une quête, celle de combattre le Morholt.
3. Le récit a lieu dans un Moyen Âge fantasmé, avec le seigneur, le chevalier, le tribut, etc.
Question 2
Lister les étapes dans la narration qui mettent en oeuvre une progression dramatique et romanesque pour mettre en valeur la victoire finale de Tristan.
1. Les nobles pleurent sur lui, jeune homme.
2. Les cloches sonnent, ce qui augmente l'implication de toute la société.
3. Puis tout le reste de la société pleure sur Tristan.
4. On souligne la solitude de Tristan sur la barque.
5. Tristan rejette sa barque : il n'y a plus d'issue pour Tristan.
6. On ne voit rien mais on entend des cris, charriés par le vent.
7. On rend déjà hommage à la mort de Tristan, pensant qu'il est déjà battu.
8. C'est la barque du Morholt qui arrive (Tristan avait jeté la sienne).
On voit donc ici une progression qui nous fait de plus en plus penser que Tristan est vaincu, et qui rend plus improbable, incroyable et donc glorieuse et spectaculaire.
On pense d'abord que Tristan est vaincu... Qu'est-ce que cela implique par rapport à la fin ?
Question 3
Relever un extrait de discours rapporté direct dans ce texte.
Les barons pleuraient de pitié sur le preux et de honte sur eux-mêmes. « Ah ! Tristan, se disaient-ils, hardi baron, belle jeunesse, que n’ai-je, plutôt que toi, entrepris cette bataille ! Ma mort jetterait un moindre deuil sur cette terre !… »
Question 4
Indiquer l'épisode mythologique très connu auquel fait référence ce combat de Tristan et du Morholt.
Il s'agit du récit biblique de la bataille de David, un jeune soldat hébreu, contre Goliath, un géant de l'armée philistine ennemie.
Dans la Bible, David se bat contre qui ?
Question 5
Relever le champ lexical du combat et celui de la mort.
Le champ lexical du combat :
"armer", "haubert", "heaume", "acier", "bataille", "furieux", "chevalier", "poings", "épée brandie", "chausses de fer", "combattu", "blessures".
Le champ lexical de la mort :
"mort", "deuil", "cloches sonnent", "pleurant et priant", "détresse", "s’affaissa", "sang ruisselait".
Champ lexical = vocabulaire.